Le blog de Chut !

Ceinture 4- La ceinture… chuchotai-je.

J’étais attachée aux baldaquins du lit, poignets entravés d’une simple ficelle. J’ignorais où il l’avait dénichée. Dans la chambre peut-être. Ou dans son sac de voyage, duquel il l’avait sortie comme un magicien. Après avoir parcouru tant de distance pour me rejoindre, il avait sûrement pris ses précautions.

 

Si je pesais sur la corde de tout mon poids, elle se romprait et me précipiterait, libre, sur le sommier.

Mais ce n’était pas le jeu.

Aussi m’efforçais-je de garder mon équilibre. Sur la pointe des pieds, sautillante, en tension arquée de la nuque aux orteils, j’avais conscience que cette position faisait se creuser mes reins et saillir ma croupe. Qu’elle accentuait le contraste entre les deux, finesse de mon ventre contre rondeur de mes hanches.

Yeux bandés, je ne pouvais pas le voir mais je savais, sentais qu’il me regardait. Qu’il se repaissait du spectacle de me voir sans défenses livrée à ses caprices.

 

La corde entamait mes poignets. Douce morsure à peine cuisante et pas assez brûlante. J’en désirais une autre, une cinglante pour me punir, m’exciter, me faire jouir.

- La ceinture… murmurai-je encore.

Il n’y eut plus dans la chambre que mon halètement et un bruit d’affaires fouillées. Des sons incongrus d’objets tombés à terre, le zip d’une fermeture-éclair ouverte à la hâte, le froissement de vêtements repoussés à coups de pied. Et enfin, le silence.

- La ceinture ? demanda-t-il.

Aveugle, frémissante, j’opinai de la tête.

- Tu es sûre ? Bien sûre ?

Hésitait-il ou espérait-il que je le supplie ?

- Je ne crois pas, désolé…

Je grimaçai. Il ne voulait plus jouer comme moi je le désirais. Et j’étais déçue, d’une déception au moins égale à mon impatience.

 

Plus d’un an auparavant je l’avais entraîné dans ce jeu, guidé vers mon plaisir en pressentant qu’il pourrait aussi être le sien. Intuition fondée sur des riens, une lueur dans l’iris au détour d’une conversation, une main qui, soudain, ne caresse plus mes fesses mais les brusque.

Le deuxième soir, j’attrapai un foulard qui traînait sur le lit. Bandai ses yeux, attachai ses couilles, marquai son dos de mes ongles, ses cuisses de mes dents. M’amusai avec lui comme un jouet, poupée de chair que j’amenais au bord de la jouissance pour brusquement l’abandonner. Puis, lentement, doucement, je reprenais la torture. Chatte et pute, femme et reine, gémissante et souveraine, attentive à son souffle, ses sursauts, ses cris.

Mes doigts roulèrent un autre foulard en corde mince. J’emmaillotai sa verge et serrai, serrai en l’enfouissant à fond de gorge.

En appui sur les genoux, il chancela, prêt à tomber.

La corde défaite, son sexe était zébré de rouge.

 

CeintureNous inversâmes bientôt le jeu.

De reine je devins esclave, déchue de sa couronne pour plier devant son pouvoir. Empire encore tâtonnant, tant on ne découvre pas sans hésitations un immense terrain de jeu.

Le dernier jour nous ne quittâmes pas la chambre.

 Le lendemain notre séparation se fit sans promesses. Avant que je ne monte dans le taxi, il me serra et me regarda, fort, glissant simplement :

"Prends soin de toi."

Peut-être nous reverrions-nous. Peut-être pas. Le pas était le plus probable jusqu’à ce qu’il prenne l’avion.

Entretemps il était devenu loup. Aussi étais-je déçue, violemment, de son refus.

 

La ceinture me cingla sans prévenir et je criai. De douleur, de plaisir et de gratitude mêlés.

- Silence !

Pinçant ma taille, chatouillant le lobe de mon oreille, il menaça de me bâillonner. Il fallait que je contienne la vague qui montait, que j’endigue le flot de salive qui baignait ma bouche.

Il fallait que je me retienne, sinon il arrêterait. Le délicieux supplice prendrait fin et je me retrouverais, frustrée, seule sur le lit.

Il frappa encore.

Je me mordis les lèvres. Un petit sourire, je l’aurais juré, tordait les siennes.

Il n’eut pas ces mots vulgaires, ces phrases que je déteste mais que - qui sait - j’apprécierai peut-être un jour.

"Tu en veux encore, hein ? Tu mouilles, salope ?" ont sur moi l’effet d’une douche froide. Terminus désir, même si j’ai moi-même pu les prononcer. Je n’étais, je crois, pas une gentille maîtresse.

 

Lardant de flammèches mes reins, ma croupe, mes cuisses, les coups tombaient, drus, irréguliers comme je les aime. En fessée, la prévisibilité me lasse, l’attente suivie de la brutalité me comble. Le creux du rien éveille mes sens, les affûte en les conjuguant à la peur.

"Quand va-t-il frapper ? Où ? Comment ?"

Désirer. Craindre. Fondre. Se raidir. Espérer. Se taire. Supplier dedans mais n’en rien montrer. Ne plus maîtriser, ne plus se maîtriser.

La surprise de la douleur est pour moi partie intime du plaisir. D’un plaisir qui, j'en ai conscience, peut effrayer.

 

Ainsi, une après-midi, je me coulais contre le flanc d’un amant pour chuchoter :

- Spank me hard… I wanna be bruised.

Je me souviens de son regard presque affolé.

Me fesser, il était à la rigueur d’accord. Mais si fort qu’il m’en couvrirait de bleus, cela le dépassait, le gênait dans sa morale de bon garçon.

« On ne frappe pas les femmes, même avec une rose. » Foutaises.

Si je veux la rose, j’en veux surtout les épines. Je veux qu’elles me lacèrent, me fendent, me déchirent. Je veux en hurler, en saigner même. Je veux des traces qui nous unissent, mon amant et moi, en secret.

 

Ceinture 2Bleu, rouge, jaune, couleurs de notre alliance dérobée aux autres, ces étrangers devant lesquels, au café, au restaurant, nous présentons bonne figure.

Pour eux, le gémissement retenu alors que je m’assois ne signifie rien.

Pour nous, il signifie la chambre, l’intensité, la lanière, le claquement, la jouissance.

Ces marques sont les preuves d’un moment qui dépasse le moment. D’un espace retiré où, animaux, vivants, nous fusionnâmes dans la chair et le sang.

Ces marques sont à la fois mes trophées et mes rappels. Ornements dérisoires d’un lien qui fut, inscriptions en espoir d’un lien à venir.

 

- Demain, je ne me servirai pas de la lanière de la ceinture, assura-t-il en me détachant. J’utiliserai la boucle.

Il n’y eut pas de demain.


    Pour finir en violence...

...  et en douceur.

Dim 20 jun 2010 1 commentaire

Ce billet m'interpelle, et me trouble. Belle description de l'attente, des marques physiques de l'amour, de la complicité forte qui unit deux êtres. Apprendre à se dépasser...

Tu es arrivée à mettre les mots sur des moments forts que j'ai vécus aussi, sans savoir réellement comment les expliquer, parce qu'ils doivent paraitre anormaux pour beaucoup de monde...

Bulle Ocean - le 05/07/2010 à 04h39

Même si cela peut sembler étrange, je crois que le dépassement de soi que tu soulignes s'opère des deux côtés : celui de la "soumise" est le plus évident, car c'est elle qui compose avec la douleur et accepte d'en supporter davantage pour ne pas stopper le jeu. Ou, plus justement, pour s'abandonner encore et encore.

Celui du Maître est bien là, aussi : pour l'homme du récit, il aurait, je crois, stoppé bien avant s'il n'avait pas été poussé. Le jeu mené à son paroxysme l'encourage à outrepasser ses propres limites, abandonnant des freins qui en temps normal le bloqueraient.

A moins d'avoir à faire à un maître très expérimenté (et encore !), ce type de relation très particulière est à mes yeux un révélateur de soi-même : on touche à des zones profondes de la psyché, assez troubles et glissantes pour éventuellement s'en relever, après le jeu, perturbés, ayant ouvert une porte qui, sinon, serait restée fermée. Le passage de l'autre côté du miroir n'est pas toujours indolore (dans tous les sens du terme !).

Ces rapports sont pour moi comme de la dynamite... à manier avec précautions. :) Qu'ils paraissent anormaux pour la plupart des gens, oui. Hélas.

Chut !