Le blog de Chut !
La musique était assourdissante. Devant la porte de la maison gisait
un amas de tongs et d'espadrilles, abandonnées par les invités avant d'entrer. En sortant, personne ne les avait rechaussés. Quelle importance, puisqu'ici, on marche pieds nus ?
Un peuple de jeunes gens très bronzés éclusait des bières en parlant, très fort, pour couvrir la sono. Du salon s'échappaient des trémolos hystériques.
Je risquai un œil par la baie vitrée.
Un garçon, trois jolies filles sur le canapé. Tous ivres, certainement.
Peut-être finirait-il la soirée ensemble. Peut-être pas.
Plus tôt, au restaurant, la première fille avait décrété son amour pour son copain resté aux USA. La deuxième tenté de flirter avec Craig, un Canadien aux dents resplendissantes. Quant à la troisième, elle s'affirmait mormonne.
Mormonne ?
J'avais explosé de rire en louchant sur ses épaules nues, son short et son visage parfait. Si cette beauté disait vrai, voilà un beau gâchis.
Mais peut-être était-elle mormonne comme moi bonne sœur. Et son mensonge juste une excuse pour échapper à Lila, qui aimait trop les femmes et trop peu les hommes.
Mais peut-être passeraient-ils tous la nuit ensemble, après tout. Ici, sur le microcosme de l'île, les principes peuvent vite fondre au soleil ou se diluer dans la bière, dans beaucoup de bière.
La musique monta encore d'un cran. Mon verre était vide, mon esprit ailleurs, bloqué quelque part entre deux continents ou agglutiné sur le siège d'un bus, dans un entre-deux d'une solution sans continuité.
L'Europe, l'Asie. Le froid, la chaleur. Le sec, le mouillé. Les immeubles, les paillotes. Le vertical de la ville butant sur les façades, l'horizontal de la mer à perte de vue.
À part Ethan qui m'avait emmenée ici, personne ne se préoccupait de moi. En passant, il me fit un petit signe.
- Tout va bien ?
J'inclinai la tête. Oui, ça allait. Pas trop mal, même. Mais bien, non.
Je me sentais fatiguée, décalée, agressée par trop de musique, de paroles, de rires. Sur "mon" île, la population est jeune. En tout cas et en moyenne, (beaucoup) plus que moi. Ici comme ailleurs, j'ai le sentiment d'arrivée lestée de mes 26 kilos de bouquins, de mes valises pas si évidentes à porter, de ma vieille peau me collant aux basques comme une pelure, à la fois s'effritant en écailles et adhérant aux entournures.
J'ai trop voyagé pour ignorer le principe même du voyage : où que l'on aille, on est toujours soi.
Ethan, qui me connaît à présent assez pour me décrypter au moindre froncement de sourcils, traversa la foule, me prit le bras pour m'amener à l'escalier.
Nous le gravîmes en cachette comme des collégiens partant pour l'école buissonière. Chaque marche nous isolait davantage du vacarme d'en bas, de ces rires de filles saoules et de cette sociabilité de façade qui, au fond, m'ennuie.
- How are you doing ?
C'est le "ça va ?" qui implique "très bien", sachant que toute autre réponse serait malvenue. D'ailleurs, peu de gens attendent même la réponse.
En haut de l'escalier se tenait une oasis de calme : le deuxième étage de la maison entièrement vide. Déserté et à louer pour 400 euros par mois avec le niveau du dessus, une immense terrasse donnant sur la mer.
Au fond, une construction que nos prîmes pour la chambre à coucher alors qu'elle n'était qu'un simple auvent.
- Bizarre... dis-je à Ethan. J'aurais imaginé la chambre ici, perchée sur la colline entre ciel et mer.
Nous nous assîmes sur le banc dominant la baie. Face à nous, la lune pleine et rousse comme un soleil de cuivre poli. Nous la regardâmes longtemps jouer à cache-cache avec les nuages, sans parler, juste saisis par la nuit et le tremblotement de la mer entre les cocotiers de la colline.
Dans ma tête s'égrenaient les paroles d'une rengaine d'ado. Daho, Etienne, susurrant :
"Satanée pleine lune rousse, triangle des Bermudes,
J'fais rimer latitude, solitude et incertitude..."
Voilà qui collait pile-poil avec le paysage et mon vague, très vague à l'âme.
Nous redescendîmes les marches à pas comptés, happés à mesure de notre descente par les battements de cœur d'une basse poussée à plein régime.
Bom, bom, bom.
Ethan me serra doucement la main.
- On peut partir si tu veux.
Je déclinai sa proposition.
Non, je voulais rester encore, à méditer ou m'étourdir près de ce battement-là.
En retrait sur la terrasse, j'inspectais mon verre toujours vide. Un garçon blond à la carrure de déménageur s'interposa devant la lune pour en capturer les rayons.
- Bonjour, je suis Derek.
Il avait un accent québécois à couper au couteau, un air sympathique et une drôle de façon de se mouvoir. Ses gestes n'étaient pas coulés mais brusques, saccadés comme si de l'huile manquait dans les rouages de sa mécanique. Alors que je le fixais droit dans les yeux, ses iris pâles, profondément enfoncés dans leurs orbites, prenaient la tangente vers un ailleurs.
Aussitôt l'affublai-je du surnom de "robot".
Mon intuition se confirma alors qu'il me tendit, avec maladresse, sa main solide tel un rumsteak trop cuit. Je la serrai machinalement avant de vite libérer mes doigts. Sa poigne de fer me broyait les phalanges.
- Ethan m'a dit que tu avais besoin d'un instructeur ?
- Oui, dis-je, mais je ne sais pas conduire.
Il me fixa effaré. Ma réponse ne faisait pas partie de la disquette standard.
Comprenant soudain la méprise, je partis d'un grand rire.
Instructeur, scooter... Cela sonnait tellement pareil que je m'étais trompée.
Deux verres plus tard, nous conclûmes notre accord. Il serait mon guide pour que je devienne Rescue Diver - plongeur-sauveteur en français. Moi sa première élève pour ce cursus réputé exigeant, sinon difficile.
Dans deux jours nous commencerions ma formation de secouriste.
C'était simple, fluide et léger comme la bière qu'il me versa et ce "Santé !" que nous nous souhaitâmes en entrechoquant nos coupes.
J'étais à cet instant très loin de me douter de la suite.
Lui aussi.
Un peuple de jeunes gens très bronzés éclusait des bières en parlant, très fort, pour couvrir la sono. Du salon s'échappaient des trémolos hystériques.
Je risquai un œil par la baie vitrée.
Un garçon, trois jolies filles sur le canapé. Tous ivres, certainement.
Peut-être finirait-il la soirée ensemble. Peut-être pas.
Plus tôt, au restaurant, la première fille avait décrété son amour pour son copain resté aux USA. La deuxième tenté de flirter avec Craig, un Canadien aux dents resplendissantes. Quant à la troisième, elle s'affirmait mormonne.
Mormonne ?
J'avais explosé de rire en louchant sur ses épaules nues, son short et son visage parfait. Si cette beauté disait vrai, voilà un beau gâchis.
Mais peut-être était-elle mormonne comme moi bonne sœur. Et son mensonge juste une excuse pour échapper à Lila, qui aimait trop les femmes et trop peu les hommes.
Mais peut-être passeraient-ils tous la nuit ensemble, après tout. Ici, sur le microcosme de l'île, les principes peuvent vite fondre au soleil ou se diluer dans la bière, dans beaucoup de bière.
La musique monta encore d'un cran. Mon verre était vide, mon esprit ailleurs, bloqué quelque part entre deux continents ou agglutiné sur le siège d'un bus, dans un entre-deux d'une solution sans continuité.
L'Europe, l'Asie. Le froid, la chaleur. Le sec, le mouillé. Les immeubles, les paillotes. Le vertical de la ville butant sur les façades, l'horizontal de la mer à perte de vue.
À part Ethan qui m'avait emmenée ici, personne ne se préoccupait de moi. En passant, il me fit un petit signe.
- Tout va bien ?
J'inclinai la tête. Oui, ça allait. Pas trop mal, même. Mais bien, non.
Je me sentais fatiguée, décalée, agressée par trop de musique, de paroles, de rires. Sur "mon" île, la population est jeune. En tout cas et en moyenne, (beaucoup) plus que moi. Ici comme ailleurs, j'ai le sentiment d'arrivée lestée de mes 26 kilos de bouquins, de mes valises pas si évidentes à porter, de ma vieille peau me collant aux basques comme une pelure, à la fois s'effritant en écailles et adhérant aux entournures.
J'ai trop voyagé pour ignorer le principe même du voyage : où que l'on aille, on est toujours soi.
Ethan, qui me connaît à présent assez pour me décrypter au moindre froncement de sourcils, traversa la foule, me prit le bras pour m'amener à l'escalier.
Nous le gravîmes en cachette comme des collégiens partant pour l'école buissonière. Chaque marche nous isolait davantage du vacarme d'en bas, de ces rires de filles saoules et de cette sociabilité de façade qui, au fond, m'ennuie.
- How are you doing ?
C'est le "ça va ?" qui implique "très bien", sachant que toute autre réponse serait malvenue. D'ailleurs, peu de gens attendent même la réponse.
En haut de l'escalier se tenait une oasis de calme : le deuxième étage de la maison entièrement vide. Déserté et à louer pour 400 euros par mois avec le niveau du dessus, une immense terrasse donnant sur la mer.
Au fond, une construction que nos prîmes pour la chambre à coucher alors qu'elle n'était qu'un simple auvent.
- Bizarre... dis-je à Ethan. J'aurais imaginé la chambre ici, perchée sur la colline entre ciel et mer.
Nous nous assîmes sur le banc dominant la baie. Face à nous, la lune pleine et rousse comme un soleil de cuivre poli. Nous la regardâmes longtemps jouer à cache-cache avec les nuages, sans parler, juste saisis par la nuit et le tremblotement de la mer entre les cocotiers de la colline.
Dans ma tête s'égrenaient les paroles d'une rengaine d'ado. Daho, Etienne, susurrant :
"Satanée pleine lune rousse, triangle des Bermudes,
J'fais rimer latitude, solitude et incertitude..."
Voilà qui collait pile-poil avec le paysage et mon vague, très vague à l'âme.
Nous redescendîmes les marches à pas comptés, happés à mesure de notre descente par les battements de cœur d'une basse poussée à plein régime.
Bom, bom, bom.
Ethan me serra doucement la main.
- On peut partir si tu veux.
Je déclinai sa proposition.
Non, je voulais rester encore, à méditer ou m'étourdir près de ce battement-là.
En retrait sur la terrasse, j'inspectais mon verre toujours vide. Un garçon blond à la carrure de déménageur s'interposa devant la lune pour en capturer les rayons.
- Bonjour, je suis Derek.
Il avait un accent québécois à couper au couteau, un air sympathique et une drôle de façon de se mouvoir. Ses gestes n'étaient pas coulés mais brusques, saccadés comme si de l'huile manquait dans les rouages de sa mécanique. Alors que je le fixais droit dans les yeux, ses iris pâles, profondément enfoncés dans leurs orbites, prenaient la tangente vers un ailleurs.
Aussitôt l'affublai-je du surnom de "robot".
Mon intuition se confirma alors qu'il me tendit, avec maladresse, sa main solide tel un rumsteak trop cuit. Je la serrai machinalement avant de vite libérer mes doigts. Sa poigne de fer me broyait les phalanges.
- Ethan m'a dit que tu avais besoin d'un instructeur ?
- Oui, dis-je, mais je ne sais pas conduire.
Il me fixa effaré. Ma réponse ne faisait pas partie de la disquette standard.
Comprenant soudain la méprise, je partis d'un grand rire.
Instructeur, scooter... Cela sonnait tellement pareil que je m'étais trompée.
Deux verres plus tard, nous conclûmes notre accord. Il serait mon guide pour que je devienne Rescue Diver - plongeur-sauveteur en français. Moi sa première élève pour ce cursus réputé exigeant, sinon difficile.
Dans deux jours nous commencerions ma formation de secouriste.
C'était simple, fluide et léger comme la bière qu'il me versa et ce "Santé !" que nous nous souhaitâmes en entrechoquant nos coupes.
J'étais à cet instant très loin de me douter de la suite.
Lui aussi.
Ven 18 déc 2009
3 commentaires
Je te croyais dans une île tranquille, pas à Marbella avec les enfants des soixante-huitards
Ordalie - le 18/12/2009 à 21h24
Coucou Ordalie,
j'allais écrire que c'était presque les petits-enfants des soixante-huitards mais en refaisant en calcul, il manque quand même dix ans ! Beh, il y a de tout sur l'île... des parties calmes et d'autres beaucoup, beaucoup plus animées, pour ne pas dire très fêtardes. Heureusement, on échappe - à peu près - à la Full Moon Party... mais pour combien de temps ?
Ceux qui sont venus il y a 5 ans ici ne reconnaîtraient pas l'endroit. On construit de partout. Ca m'a vraiment frappée en revenant... et ça me met les nerfs en pelote la journée, parce que la maison est maintenant entourée de deux chantiers. Snif.
(De toute façon, je préfère la plage, mais quand même !)
j'allais écrire que c'était presque les petits-enfants des soixante-huitards mais en refaisant en calcul, il manque quand même dix ans ! Beh, il y a de tout sur l'île... des parties calmes et d'autres beaucoup, beaucoup plus animées, pour ne pas dire très fêtardes. Heureusement, on échappe - à peu près - à la Full Moon Party... mais pour combien de temps ?
Ceux qui sont venus il y a 5 ans ici ne reconnaîtraient pas l'endroit. On construit de partout. Ca m'a vraiment frappée en revenant... et ça me met les nerfs en pelote la journée, parce que la maison est maintenant entourée de deux chantiers. Snif.
(De toute façon, je préfère la plage, mais quand même !)
Chut !
Ayant moi aussi fait langue de bois 1ére langue (car cette formule n'est pas de moi), je ne commenterai pas mais je n'en pense pas moins.
Mais je dis:... la suiiiiiiite!
Mais je dis:... la suiiiiiiite!
Ordalie - le 19/12/2009 à 15h24
Euh... Pas sûre d'avoir compris. C'est parce que je dis ni oui ni non ? :)
Tout dépend vraiment de l'endroit où tu te trouves sur l'île : y a des coins encore sauvages et d'autres presque totalement dédiés aux amusements de toutes sortes. Faut que tu viennes pour te faire une idée ! :)
Tout dépend vraiment de l'endroit où tu te trouves sur l'île : y a des coins encore sauvages et d'autres presque totalement dédiés aux amusements de toutes sortes. Faut que tu viennes pour te faire une idée ! :)
Chut !
Je m'explique: on construit de partout, c'est absolument désolant!
Ordalie - le 20/12/2009 à 05h58