Le blog de Chut !
Le
matin, je me dis souvent que ce n'est pas possible. Que jamais je n'arriverai à m'extirper de ce lit ni à chasser toute la fatigue de mes yeux. Mon corps est lourd de trop peu de sommeil ou de
rêves interrompus, mes muscles tendus en cordes d'arc.
Je me lève cependant et, nouée comme un vieil arbre, je gémis de m'étirer.
Pas le temps d'avaler un café. Quant à prendre une douche, à quoi bon ? Je serai bientôt trempée de sel.
J'avance, hésitante, empoigne au hasard un maillot, une jupe, un tee-shirt. Parfois je mets l'un ou l'autre à l'envers. Mais parfois seulement, tant j'aime à être présentable.
Il paraît qu'en France, les femmes sont élégantes et les hommes romantiques. Nourrissant quelques doutes sur ce dernier point, je défends au moins la réputation de mon pays sur le premier. Et je
souris en repensant à Augustino, cet Argentin qui fut mon amant lorsque nous apprîmes à plonger.
La journée, nous jouions les étrangers sur le bateau. Personne n'aurait pu deviner ce qui nous unissait lui et moi au soir tombé, lorsque je toquais, demi nue, à la porte de son bungalow. Il
l'ouvrait et s'effaçait pour me laisser passer.
A peine étais-je entrée qu'il mettait de la musique spiralant en tourbillons d'écume dans l'air brûlant, susurrant les paroles à mon oreille. Ses lèvres et la bossa nova me parlaient de pays
inconnus, d'amants magnifiques, d'âmes redorées au soleil, de chaleur, de vie éclatante et de mort flamboyante.
Debout aux confins du lit, je me déshabillais d'un seul geste, plantais le drapeau de ma chemise sur le drap replié, me dressais dans l'obscurité telle la figure de proue d'un navire en
perdition.
Depuis le rivage du lit il m'offrait sa main. J'y déposai la mienne et la corde de son bras me hâlait pour que nous roulions, ensemble enlacés, sur cette nouvelle terre.
Ces quelques nuits partagées m'apprirent que l'espagnol était la plus sensuelle des langues. Tantôt ronde comme un sein ou abrupt comme un os, tressée de petits raclements à fond de gorge et de r
roulant en pointe contre les dents. Quand il commençait à parler, j'enfonçais ma langue dans sa bouche, non pour le faire taire mais pour lui voler un peu de sa magie.
Ces quelques nuits m'apprirent aussi que le sexe, le bon sexe de la bonne baise, se mariait divinement à la plongée. Sûrement parce que l'un comme l'autre, tranchant pour un éphémère instant nos
racines terrestres, nous arrachent à nous-mêmes en une suspension.
Lui et moi appelions d'ailleurs ces nuits nos deep dives, nos plongées profondes.
Au milieu de celle qui précéda son départ, je lui dis que j'avais peur d'avoir, le lendemain, trente mètres d'eau au-dessus de la tête.
Une première fois, ça impressionne toujours.
Caressant mes cheveux, il me répondit que je n'avais pas à m'inquiéter. Que ce serait juste comme d'habitude. Que ma crainte ne devait pas être enclose en un
chiffre, parce qu'un chiffre n'avait en soi aucune importance.
Tandis que j'approuvais d'un timide hochement de tête, les lèvres pleines d'un "mais" à objecter, il me retourna afin de me pénétrer plus profondément.
Je jouis, très fort, en pensant à tous ces mètres liquides qui me recouvriraient et ne signifieraient rien. Rien hormis que je serais allée plus profond encore. Et que là se trouvait peut-être,
au fond, le sens de ma vie.
Au matin, sur le bateau, l'instructeur me tendit son ardoise. Y figuraient dans des carrés les chiffres de 1 à 22, inscrits de façon aléatoire. Les pointer un par un me prit vingt secondes.
- Une fois en bas, tu seras plus lente. Ton cerveau répondra moins bien, tes réflexes s'émousseront. Tu souffriras peut-être même de "nitrogen narcosis" ou narcose à l'azote, plus connue
sous le nom d'ivresse des profondeurs.
J'étais prévenue lorsque, accroupie par trente mètres de fond, je répétai l'exercice.
De un à huit, tout roula parfaitement.
À neuf, des pensées subreptices s'immiscèrent entre mes pupilles et mon masque. Un mot en français contre un en espagnol, un poisson aux nageoires trépidant au rythme frénétique d'une samba, une
anémone en sexe étale épanouie sur un rocher...
À onze, je revis le visage d'Augustino, l'entendis me souffler qu'un chiffre n'avait aucune importance et restai bloquée, le doigt en l'air.
"On s'en fout du chiffre, d'accord. N'empêche... Il est où, ce putain de douze ?"
J'éclatai de rire dans une myriade de bulles. Des dizaines de bulles crachées par soudains à coups de mon détendeur, rebondissant sur ma tête en tapotements complices.
"Hé, hé, une crainte enclose en un chiffre... Douze comme bouse, ça rime, non ?"
Il y avait à mon avis de quoi franchement se tordre.
Je n'étais pourtant pas ivre. Enfin, je ne crois pas. Le propre de la narcose à l'azote étant de passer inaperçue pour
celui qui l'éprouve, peut-être fus-je hors de moi sans même m'en apercevoir. À l'image de ces fous qui, persuadés de détenir la vérité, soliloquent en ivrognes sur un quai de métro.
Lorsque je crucifiai enfin le douze sur l'ardoise, le goût de l'air inspiré avait la sécheresse de la bouteille et celui de la victoire.
De douze à vingt-deux, l'enchaînement fut facile.
Tout compte fait, le compte en bas me prit deux fois le temps du compte en haut.
En remontant à la surface, je songeais à Augustino que je ne reverrais plus, mais qu'importait ?
Il m'avait laissé assez de chaleur pour les jours de grisaille et une certitude : un chiffre en soi ne signifie rien.
Le lendemain, je replongeai avec délices. Par trente mètres.
Ah, toi aussi, tu trouves !? Il va nous falloir organiser un meeting au sommet avec Christian, lusophone(s) à l'appui ! :)
Même si je suis de plus en plus loin à mesure que je m'enfonce dans les Philippines, tes pensées me touchent et je t'envoie les mêmes (mais sans soleil, car il pleut à verse !!). Preuve qu'on n'est jamais très loin des gens qu'on voit par le coeur...
C'est parce que tu n'as pas encore essayé le brésilien ;)
Je ne proposerais pas un règlement en forme de match de foot, je crois que les Brésiliens sont meilleurs que les Espagnols (quoique, le foot et moi, ça fait 10... alors, si ça se trouve, j'écris une bêtise grosse comme un requin baleine).
Ordalie, j'ai trouvé une exception aux langues asiatiques couinantes : celles qu'on parle aux Philippines, notamment le tagalog. Mais argh... voilà ti pas que c'est encore un coup en sous-main de la spanish connection (les Brésiliens ne sont pas, eux, allés jusque-là) !
Les Philippines + la plongée = trrrrès compliqué (rouler fort les R sur très, je m'entraîne à l'espagnol !).
C'est Dzwon!Comment vas-tu?
Je me rends de temps en temps sur ton site pour lire tes écrits;toujours agréables à lire!
Es-tu toujours en contact avec certains membres de l'autre forum?
ça pourrait être sympa de se retrouver avec les autres autour d'un verre...
Bise à bientôt!
Vincent
ça alors, quelle surprise ! Je ne savais pas que tu traînais par ici... Ca me fait plaisir !
Oui, toujours en contact avec quelques membres du noyau, et une grande amie parmi eux (mais ça, tu dois déjà t'en douter).
Un pot, pourquoi pas ? Le plus dur va être de faire coïncider nos emplois du temps après avoir battu le "rappel des troupes". Mais why not ?
Bises aussi !
Je suis contente pour toi,si loin.....mais jamais de mes pensées.