Le blog de Chut !
J'ai
appelé Dorian un jour après et déposé sur son répondeur un message que je n'ai pas réécouté.
Comme il me connaît bien, il ne lui a pas fallu longtemps pour me rappeler et laisser, à son tour, un message sur le mien.
- Tu avais une voix blanche... Je sais que c'était hier et, forcément, je m'inquiète. Je retente ma chance plus tard.
Ce plus tard me cueillit près de chez moi alors que je descendais la rue en pointe.
Je fouillai furieusement mon sac pour repêcher mon portable.
La sonnerie s'exaspérait à mesure que des strates de mouchoirs me glissaient entre les doigts. Saisie par l'urgence d'un bip qui se meurt, je finis par lâcher le tout et m'agenouiller à même le goudron. Tête basse et dos courbée, en position de pénitence ou d'imploration.
"Dorian", lus-je sur l'écran du téléphone.
- Suis là, crachotai-je en obliquant à dessein sur une petite place tranquille.
Pas âme qui vive à l'horizon, malgré le tabac du coin ouvert le dimanche.
L'approche du 14 juillet avait vidé aussi la capitale aussi sûrement qu'un coup de grisou dans une outre trop pleine. Unique rescapé d'un silence assourdissant, un vague bruit venu de l'appartement du rez-de-chaussée, à l'aplomb du plot qui me servait de reposoir, attestait que je n'étais pas seule au monde.
Je me congratulai in petto de mon choix de repli.
Dorian et moi, fallait qu'on cause.
- J'ai quelques questions à te poser, attaquai-je bille en tête. Rien de méchant, hein, c'est juste pour un sondage. Tu me dis oui, ou non, ou la première réponse qui te vient à l'esprit. D'acc ?
Dorian acquiesça, rassuré depuis son île de vacances. Puisque j'étais d'humeur joueuse, je ne pouvais pas aller si mal.
- Tu aimes te faire fesser ?
- Pardon ?
- Tu aimes pan-pan cucul sur ton postérieur ?
Il marmonna un "Euh..." embarrassé avant de hoqueter de rire, croyant sûrement à une de mes bizarreries ou provocations habituelles.
- Bon, je ne suis pas sectaire. Imaginons que la fessée, je la reçoive moi. Enfin... que tu me la donnes. Tu aimes mieux ?
- Je crois que je préfère.
- Parfait. C'est noté.
Râtissant le pavé du bout de ma botte, je sautai à une interrogation beaucoup moins polémique.
"Doucement, doucement... Pas tout en même temps avec nous les hommes", qu'il m'avait conseillé le chirurgien une année plus tôt.
Dont acte.
- Et le riz, tu aimes ?
- Le riz ? Je crois que la ligne passe très mal, là. Tu me demandes si j'aime... le riz ???
- Oui, oui, tout à fait. Le riz.
Silence consterné à l'autre bout du fil.
C'était prévisible. Mon meilleur ami pense que je suis piquée. Que mon cerveau a fondu au soleil de Malaisie ou que je l'ai oublié dans l'avion. Alors, pour ne pas me contrarier (ou parce qu'il aime vraiment le riz, allez savoir), il me concède qu'il "aime bien le riz, surtout avec une bonne sauce".
Pour une fille en transit vers l'Asie, voilà qui tombe plus qu'à pic.
Deux sur deux, carton plein.
Grisée par mon succès, je louvoie vers la zone dangereuse la fleur au fusil :
- Et les enfants, tu les aimes, les enfants ?
Même pas besoin d'attendre sa réponse, je la connais déjà.
Dorian n'aime pas les enfants, il les adore. D'ailleurs, quand il parle des siens, il a la voix qui vrille, la fierté qui s'affirme et la tendresse qui déborde. Et bien que mâle, il a aussi cette espèce d'aura, de complétude de fruit mûr et fermé qu'on ne prête qu'aux femmes enceintes ou aux jeunes accouchées.
Hier, cette tendresse me touchait au cœur. Aujourd'hui, elle me le perfore.
Hier, cette tendresse m'était pure et bouleversante, rare et belle comme l'amour véritable, devant lequel tous les mots s'effacent, parce que plus un seul ne tient la route.
Aujourd'hui, cette tendresse me donne envie de me répandre. D'ailleurs, tout mon corps transformé en flaque d'eau coule sur le trottoir et roule dans le caniveau.
Je reprends voix nouée :
- Et moi, tu m'aimes, Dorian ?
- Si je t'aime ? Hé ! T'es bête ou quoi ?
Depuis plus de dix ans qu'on se connaît entre confidences, galères, joies, rupture et relation mal bouclée, le fil de notre amitié fut plusieurs fois tendu jusqu'à se rompre, sans toutefois jamais céder.
Les épreuves de ces quinze derniers mois l'ont même renforcée, je pense. Dorian fut ainsi le premier à dîner chez moi après l'opération.
J'avais une jupe atroce et une mine de déterrée, le cheveu insipide et un air de bête traquée.
Lorsqu'il me trouva belle, je lui demandai d'économiser ses mensonges.
Il me regarda comme si je l'avais giflé.
Un soir des années auparavant, alors que je raccompagnai Dorian au métro, je lançai un exocet sur le no man's land de notre histoire avortée :
- Je crois que nous sommes passés à côté de quelque chose.
Il acquiesça et me serra dans ses bras, acquiesçant encore sur mon épaule avant de s'engouffrer dans le métro. Direction sa nouvelle vie alors que moi aussi, je rejoignais la mienne.
Discret mouvement de rideau dans l'appartement du rez-de-chaussée tout proche.
Non, je ne suis décidément pas seule au monde. J'ai même la furieuse impression qu'à droite on m'épie et se repaît de ma peine.
- Avant-dernière question, Dorian. Tu veux bien me rendre service ?
- Evidemment.
- Et tu es libre la semaine prochaine ?
- Oui oui.
- Super, je prends rendez-vous chez le doc. J'pense qu'il peut nous décrocher un petit créneau pour une FIV.
Là, il a explosé d'un rire tellement contagieux que moi aussi, j'ai dû me tenir les côtes.
Y avait comme du mieux après avoir ruiné le canapé de mon chirurgien préféré, salopé sa table d'examens et démoralisé sa clientèle. Une fille qui s'étouffe sous sa plaque de spécialiste, c'est du genre pub calamiteuse.
Comme il me connaît bien, il ne lui a pas fallu longtemps pour me rappeler et laisser, à son tour, un message sur le mien.
- Tu avais une voix blanche... Je sais que c'était hier et, forcément, je m'inquiète. Je retente ma chance plus tard.
Ce plus tard me cueillit près de chez moi alors que je descendais la rue en pointe.
Je fouillai furieusement mon sac pour repêcher mon portable.
La sonnerie s'exaspérait à mesure que des strates de mouchoirs me glissaient entre les doigts. Saisie par l'urgence d'un bip qui se meurt, je finis par lâcher le tout et m'agenouiller à même le goudron. Tête basse et dos courbée, en position de pénitence ou d'imploration.
"Dorian", lus-je sur l'écran du téléphone.
- Suis là, crachotai-je en obliquant à dessein sur une petite place tranquille.
Pas âme qui vive à l'horizon, malgré le tabac du coin ouvert le dimanche.
L'approche du 14 juillet avait vidé aussi la capitale aussi sûrement qu'un coup de grisou dans une outre trop pleine. Unique rescapé d'un silence assourdissant, un vague bruit venu de l'appartement du rez-de-chaussée, à l'aplomb du plot qui me servait de reposoir, attestait que je n'étais pas seule au monde.
Je me congratulai in petto de mon choix de repli.
Dorian et moi, fallait qu'on cause.
- J'ai quelques questions à te poser, attaquai-je bille en tête. Rien de méchant, hein, c'est juste pour un sondage. Tu me dis oui, ou non, ou la première réponse qui te vient à l'esprit. D'acc ?
Dorian acquiesça, rassuré depuis son île de vacances. Puisque j'étais d'humeur joueuse, je ne pouvais pas aller si mal.
- Tu aimes te faire fesser ?
- Pardon ?
- Tu aimes pan-pan cucul sur ton postérieur ?
Il marmonna un "Euh..." embarrassé avant de hoqueter de rire, croyant sûrement à une de mes bizarreries ou provocations habituelles.
- Bon, je ne suis pas sectaire. Imaginons que la fessée, je la reçoive moi. Enfin... que tu me la donnes. Tu aimes mieux ?
- Je crois que je préfère.
- Parfait. C'est noté.
Râtissant le pavé du bout de ma botte, je sautai à une interrogation beaucoup moins polémique.
"Doucement, doucement... Pas tout en même temps avec nous les hommes", qu'il m'avait conseillé le chirurgien une année plus tôt.
Dont acte.
- Et le riz, tu aimes ?
- Le riz ? Je crois que la ligne passe très mal, là. Tu me demandes si j'aime... le riz ???
- Oui, oui, tout à fait. Le riz.
Silence consterné à l'autre bout du fil.
C'était prévisible. Mon meilleur ami pense que je suis piquée. Que mon cerveau a fondu au soleil de Malaisie ou que je l'ai oublié dans l'avion. Alors, pour ne pas me contrarier (ou parce qu'il aime vraiment le riz, allez savoir), il me concède qu'il "aime bien le riz, surtout avec une bonne sauce".
Pour une fille en transit vers l'Asie, voilà qui tombe plus qu'à pic.
Deux sur deux, carton plein.
Grisée par mon succès, je louvoie vers la zone dangereuse la fleur au fusil :
- Et les enfants, tu les aimes, les enfants ?
Même pas besoin d'attendre sa réponse, je la connais déjà.
Dorian n'aime pas les enfants, il les adore. D'ailleurs, quand il parle des siens, il a la voix qui vrille, la fierté qui s'affirme et la tendresse qui déborde. Et bien que mâle, il a aussi cette espèce d'aura, de complétude de fruit mûr et fermé qu'on ne prête qu'aux femmes enceintes ou aux jeunes accouchées.
Hier, cette tendresse me touchait au cœur. Aujourd'hui, elle me le perfore.
Hier, cette tendresse m'était pure et bouleversante, rare et belle comme l'amour véritable, devant lequel tous les mots s'effacent, parce que plus un seul ne tient la route.
Aujourd'hui, cette tendresse me donne envie de me répandre. D'ailleurs, tout mon corps transformé en flaque d'eau coule sur le trottoir et roule dans le caniveau.
Je reprends voix nouée :
- Et moi, tu m'aimes, Dorian ?
- Si je t'aime ? Hé ! T'es bête ou quoi ?
Depuis plus de dix ans qu'on se connaît entre confidences, galères, joies, rupture et relation mal bouclée, le fil de notre amitié fut plusieurs fois tendu jusqu'à se rompre, sans toutefois jamais céder.
Les épreuves de ces quinze derniers mois l'ont même renforcée, je pense. Dorian fut ainsi le premier à dîner chez moi après l'opération.
J'avais une jupe atroce et une mine de déterrée, le cheveu insipide et un air de bête traquée.
Lorsqu'il me trouva belle, je lui demandai d'économiser ses mensonges.
Il me regarda comme si je l'avais giflé.
Un soir des années auparavant, alors que je raccompagnai Dorian au métro, je lançai un exocet sur le no man's land de notre histoire avortée :
- Je crois que nous sommes passés à côté de quelque chose.
Il acquiesça et me serra dans ses bras, acquiesçant encore sur mon épaule avant de s'engouffrer dans le métro. Direction sa nouvelle vie alors que moi aussi, je rejoignais la mienne.
Discret mouvement de rideau dans l'appartement du rez-de-chaussée tout proche.
Non, je ne suis décidément pas seule au monde. J'ai même la furieuse impression qu'à droite on m'épie et se repaît de ma peine.
- Avant-dernière question, Dorian. Tu veux bien me rendre service ?
- Evidemment.
- Et tu es libre la semaine prochaine ?
- Oui oui.
- Super, je prends rendez-vous chez le doc. J'pense qu'il peut nous décrocher un petit créneau pour une FIV.
Là, il a explosé d'un rire tellement contagieux que moi aussi, j'ai dû me tenir les côtes.
Y avait comme du mieux après avoir ruiné le canapé de mon chirurgien préféré, salopé sa table d'examens et démoralisé sa clientèle. Une fille qui s'étouffe sous sa plaque de spécialiste, c'est du genre pub calamiteuse.
Lun 13 jui 2009
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