Le blog de Chut !
Nous n'en étions qu'à l'entrée de notre dîner italien. Plus tôt, nous avions bu un verre ou plutôt deux. Le premier dans un bar cosy de la plage où, avachie sur un pouf, je me grisais de son accent.
- Désolé, je parle trop, s'excusa-t-il.
Je secouai la tête et il reprit le fil de son discours. S'interrompit à nouveau lorsque trois personnes pilèrent devant notre table.
- You're here... We were looking for you !
Les mots ricochèrent en cascade entre nos bières. Je levai les yeux. La femme était belle, ronde, blonde et déjà assise.
- Sherry, my whife, me glissa Ethan en guise de présentations.
Sherry eut un petit gloussement avant de me tendre la main. Je la serrai en me demandant ce qui était si drôle, déjà prête à sentir l'hostilité courir le long de mes doigts.
Erreur. Sa poigne était aussi douce et chaude que sa poitrine hâlée.
Je m'attendais aussi à ce regard que voient rarement les hommes et toujours les femmes. Celui qui scrute, qui estime, qui jauge pour assigner une place sur l'échelle de la rivalité. Ce regard de femelle que je déteste mais que j'ai aussi, parfois.
Le magnéto des souvenirs se rembobina. Je me rappelai, à contretemps, une autre jolie fille à l'anniversaire d'un copain. De sa façon de me toiser et de m'adresser la parole en tordant la bouche.
Manifestement, chaque mot dont elle me gratifiait lui coûtait. Et moi,
consciente du prix dont elle s'acquittait mais feignant l'innocence, je m'amusais en toute perversité à la faire parler.
A Tartuffe, Tartuffe et demi. Dans notre jeu de dupes, c'est elle qui plia et partit la première.
-
Je lui fais la bise à lui. A toi, je te dis juste au revoir.
Elle partit sur un claquement de talons, moi d'un fou rire.
J'avais dix ans de plus et son camouflet était un compliment.
Aussi ne compris-je pas lorsque Sherry me tendit sa paume pour prendre congé. Il me paraissait étrange qu'une femme laissât son mari aux mains d'une autre en leur souhaitant en prime une excellente soirée.
A Paris, dans certains cercles que je n'ai qu'effleurés, cette attitude ne me semblerait pas bizarre. Simple autorisation libertine ou prélude à un jeu érotique où, loin d'être la pièce maîtresse, je serais l'élément rapporté.
A croire que le voyage avait tellement déplacé mes repères que j'en avais l'esprit brouillé. Mais quitte à frayer avec les conventions, autant m'y enfoncer jusqu'à la taille, jusqu'au gosier.
- Euh... Tu la retrouves à la maison ? croassai-je.
Ethan me dévisagea interloqué.
- Non, pourquoi ?
Je m'agitai sur mon pouf, allumai une cigarette, sirotai une gorgée pour différer ma réponse. Incroyable comme devoir préciser sa pensée peut devenir embarrassant. Et comme souvent lorsque je suis gênée, mon esprit m'était aussi utile qu'une planche à clous. Déjà échappé, caracolant ailleurs, le traître me bombardait d'un message idiot : le titre d'un livre tournant en boucle tel un refrain.
La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules.
Avec ça, j'étais drôlement avancée. La conversation aussi.
Renonçant à tourner les choses avec élégance, je lâchais un très plat :
- Ben, parce que... C'est ta femme.
Ethan se renversa en se tenant les côtes. Sûr que la meilleure blague de l'année n'aurait pas remporté un plus franc succès.
- Ah ah ah. Sherry ? Ma femme ? Mais non, pas du tout. Je plaisantais.
- Oh, articulai-je d'un ton pincé. Très drôle.
Puis je me renversai à mon tour sur mon siège, tenaillée par l'envie de rire aux larmes de ce drôle de monde où les hommes qui n'ont pas de femme s'en inventent une, et où les hommes qui en ont une vous jurent qu'elle ne compte pas. Ou du moins pas tant que vous, mais en restant à la maison.
Le deuxième verre avec Ethan fut un cocktail rouge flamboyant siroté à petites gorgées. Le lieu avait changé, pas son accent. Lorsqu'il me proposa un dîner, j'acceptai malgré mes bonnes résolutions de me coucher tôt, seule, sans amant.
"Quelle importance, pensais-je, puisque demain est fait pour dormir ?"
Aucun bateau de plongée ne me pêcherait au petit matin, les yeux cernés d'une nuit trop brève et le menton râpé de baisers, la peau encore rougie de l'éclat des femmes qui ont été aimées.
- Tu viens de trouver le père de tes futurs enfants, me dit donc Ethan à la terrasse du restaurant.
Non, il n'était pas soûl. Non, je ne venais pas de lui avouer mon désir de maternité.
Nous nous moquions juste de mon anglais imparfait qui me condamne à dire un mot à la place d'un autre : penis pour peanuts, spunk (sperme, foutre) pour spank (fesser).
En termes d'aveux, je m'étais bornée au plus avouable : oui, j'aime
fesser les hommes.
Et je savais, avant même de lancer ce qui n'était pas une proposition déguisée, qu'Ethan aimait les femmes comme moi.
Dès le premier jour, j'en eus le soupçon. Pourquoi ? Je l'ignore. Peut-être l'habitude de flairer en animal mes semblables, un rien dans son attitude de parfait gentleman, un zeste de trop grande féminité dans ses gestes.
La confirmation vint par un matin de grand vent, alors que j'étendais ma cheville tatouée sur le pont du bateau.
- Oh... Ce tatouage a dû être douloureux... très douloureux... murmura Ethan.
Il n'esquissa pas un geste pour le toucher. Ses yeux dardés sur les fourches agressives du trident parlaient à la place de ses mains.
- En effet, répondis-je, mais la douleur est parfois bonne. Et plus que bonne, nécessaire.
Il hocha la tête d'un air entendu.
- Nécessaire, oui. Comme une belle femme sans merci.
L'eau qui nous cueillit nous dispensa de
poursuive.
Tout avait déjà été
dit.
La suite très vite...
Mais avant, il faut que j`en prenne une, la charge sur mon ordi et degote une connexion wifi. Qui a dit que les vacances etaient simples ???