Le blog de Chut !
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Je te fais un smoky eyes ?
Venant d'Ether, la proposition est un beau cadeau. Mon amie sait manier mieux que personne les fards, la poudre, les crayons et le rimmel.
Nous nous installâmes sur le canapé déplié du salon. Face à face et très gaies, excitées comme deux filles livrées à une activité aussi vieille que la coquetterie : maquiller une copine.
L'opération peut sembler futile, elle ne l'est pas. Transformer une toile vierge en un tableau est mine de rien compliqué. Il faut combler les creux, aplanir les bosses, gommer la pollution des jours et les plis des emmerdes.
Rien que ça, c'est tout un art.
De plus, la perception qu'on a de soi-même correspond rarement à celle des autres. Être notre seul juge revient souvent à nous tromper, tant c'est de la confrontation que surgit la vérité.
Aussi nos défauts supposés peuvent-ils, au détour d'une séance de maquillage, se convertir en qualités.
- J'ai une bouche trop petite, geignais-je à Ether qui me la tamponnait.
- Du tout, elle est parfaite. Vu la taille de tes yeux, tu aurais l'air de quoi avec une grande bouche ?
- Euh... D'un mérou ?
La pointe aiguë d'un crayon me passa au ras des cils.
- Ne bouge surtout pas, m'ordonna Ether.
Elle n'eut pas à me le dire deux fois. Aborder 2009 avec un œil en moins m'aurait embêtée. Le rôle du mérou borgne, je me le garde pour l'an prochain.
Quelques secondes plus tard, une caresse de pinceau me fit frissonner.
- Du blanc pour t'ouvrir l'arcade, précisa mon amie.
Voilà qui sonnait ring de boxe. Je m'imaginai aussitôt roulant dans la boue enlacée à Ether, retombant lourdement sur terre quand elle annonça :
- Voilà. Fini.
Je saisis la glace qui traînait sur la table, m'observai et me touchai la joue. La créature dans le reflet m'imita.
Je tournai un peu le menton. La créature aussi, sans cesser de me fixer.
Elle avait du chien, la bougresse. Du chien et des yeux translucides de chat, étirés et immenses, à vous boire l'âme rien qu'en vous regardant le nez. L'air surpris aussi, comme si une souris s'était carapatée sous sa moustache.
Brutalement une de ses phrases me revint :
- Dès notre premier rendez-vous, ce sont tes yeux qui m'ont frappée. Parce qu'ils étaient emplis de peur.
Ce jour-là pourtant, toute à la joie de la voir et pressentant une rencontre exceptionnelle, j'étais bien loin de la peur. Mais ma future amie m'avait lue comme un livre ouvert, devinant ces creux et ces bosses qui, elles, ne s'estompent pas avec le fard.
Peut-être parce qu'elle a quelque chose de spécial.
Peut-être aussi parce qu'en dépit des artifices, mon désarroi d'alors se voyait comme mon pif au milieu de mes mâchoires.
Ce 31 décembre dans le miroir, il n'y avait aucune peur. Juste le ravissement de me trouver belle.
- On dirait une fille de magazine, articulai-je.
La fille dans le miroir prononça les mêmes mots.
Elle et moi, elle est moi. Le temps d'une seconde, je revécus mes expériences de scission.
La première se produisit quand j'étais enfant. Dans un hôtel en Hollande, j'avais emprunté un vieux Monopoly à la réception. Alors que je traversais le hall décoré de vitres, une fillette de mon âge marcha à ma rencontre. Elle aussi tenait une boîte de jeu.
Sa sihouette et sa coiffure me semblèrent familières. Je la hélai, elle me héla.
Ce n'est qu'alors que je compris : elle et moi ne faisions qu'une.
À plusieurs reprises, soudain mise en présence de moi-même, je ne me reconnus pas tout de suite, mais éprouvais une bizarre impression de déjà-vu.
Un clic de cerveau plus tard et l'intérieur réintégrait en décalé l'écorce.
En cette fin 2008, Ether m'avait changé en cygne mais au fond, j'étais toujours le petit canard de province qui claudique, pataud dans sa basse-cour, en contemplant ses voisines. À ras de terre il a les plumes grises, elles les plumes blanches et l'immatérialité des anges faits d'une autre chair.
Aussi me rappelai-je ce soir où, pomponnée et parfumée, les miroirs des vitrines et les yeux des hommes me disaient que j'étais jolie.
Je pris le métro, guillerette, pour rejoindre Salomé au théâtre. En milieu de ligne, une femme monta dans le wagon.
Ce fut comme une apparition.
Mon cœur foudroyé en rata un battement.
Cette femme n'était ni jolie ni belle, mais sublime. Ses traits purs sortaient du burin d'un maître, sa blondeur et son teint délicats de la palette d'un peintre. Bien que décoiffés, ses cheveux retombaient en impeccables cascades sur ses épaules.
Hypnotisée, je fixais une extraterrestre et brûlais de crier aux autres passagers :
- Levez le nez de votre journal et regardez-la ! Êtes-vous donc aveugles ?
Indifférente et souveraine, la femme sortit une pomme de son sac. Je crus naïvement qu'elle allait l'offrir à notre voisine fatiguée, au cou rentré dans son manteau et aux yeux soulignés de tant de cernes.
Pour moi, les anges ne mangent pas, ils se contentent d'exister.
Erreur. La femme croqua telle Ève dans le fruit. Et de trivial ce geste adoubé par sa beauté devint magnifique.
Je descendis à la station d'après.
Ce soir-là, j'aurais cher payé pour être cette femme mangeant une pomme sous la terre. Et peut-être même, qui sait, signé un pacte avec le diable pour devenir un ange.
Venant d'Ether, la proposition est un beau cadeau. Mon amie sait manier mieux que personne les fards, la poudre, les crayons et le rimmel.
Nous nous installâmes sur le canapé déplié du salon. Face à face et très gaies, excitées comme deux filles livrées à une activité aussi vieille que la coquetterie : maquiller une copine.
L'opération peut sembler futile, elle ne l'est pas. Transformer une toile vierge en un tableau est mine de rien compliqué. Il faut combler les creux, aplanir les bosses, gommer la pollution des jours et les plis des emmerdes.
Rien que ça, c'est tout un art.
De plus, la perception qu'on a de soi-même correspond rarement à celle des autres. Être notre seul juge revient souvent à nous tromper, tant c'est de la confrontation que surgit la vérité.
Aussi nos défauts supposés peuvent-ils, au détour d'une séance de maquillage, se convertir en qualités.
- J'ai une bouche trop petite, geignais-je à Ether qui me la tamponnait.
- Du tout, elle est parfaite. Vu la taille de tes yeux, tu aurais l'air de quoi avec une grande bouche ?
- Euh... D'un mérou ?
La pointe aiguë d'un crayon me passa au ras des cils.
- Ne bouge surtout pas, m'ordonna Ether.
Elle n'eut pas à me le dire deux fois. Aborder 2009 avec un œil en moins m'aurait embêtée. Le rôle du mérou borgne, je me le garde pour l'an prochain.
Quelques secondes plus tard, une caresse de pinceau me fit frissonner.
- Du blanc pour t'ouvrir l'arcade, précisa mon amie.
Voilà qui sonnait ring de boxe. Je m'imaginai aussitôt roulant dans la boue enlacée à Ether, retombant lourdement sur terre quand elle annonça :
- Voilà. Fini.
Je saisis la glace qui traînait sur la table, m'observai et me touchai la joue. La créature dans le reflet m'imita.
Je tournai un peu le menton. La créature aussi, sans cesser de me fixer.
Elle avait du chien, la bougresse. Du chien et des yeux translucides de chat, étirés et immenses, à vous boire l'âme rien qu'en vous regardant le nez. L'air surpris aussi, comme si une souris s'était carapatée sous sa moustache.
Brutalement une de ses phrases me revint :
- Dès notre premier rendez-vous, ce sont tes yeux qui m'ont frappée. Parce qu'ils étaient emplis de peur.
Ce jour-là pourtant, toute à la joie de la voir et pressentant une rencontre exceptionnelle, j'étais bien loin de la peur. Mais ma future amie m'avait lue comme un livre ouvert, devinant ces creux et ces bosses qui, elles, ne s'estompent pas avec le fard.
Peut-être parce qu'elle a quelque chose de spécial.
Peut-être aussi parce qu'en dépit des artifices, mon désarroi d'alors se voyait comme mon pif au milieu de mes mâchoires.
Ce 31 décembre dans le miroir, il n'y avait aucune peur. Juste le ravissement de me trouver belle.
- On dirait une fille de magazine, articulai-je.
La fille dans le miroir prononça les mêmes mots.
Elle et moi, elle est moi. Le temps d'une seconde, je revécus mes expériences de scission.
La première se produisit quand j'étais enfant. Dans un hôtel en Hollande, j'avais emprunté un vieux Monopoly à la réception. Alors que je traversais le hall décoré de vitres, une fillette de mon âge marcha à ma rencontre. Elle aussi tenait une boîte de jeu.
Sa sihouette et sa coiffure me semblèrent familières. Je la hélai, elle me héla.
Ce n'est qu'alors que je compris : elle et moi ne faisions qu'une.
À plusieurs reprises, soudain mise en présence de moi-même, je ne me reconnus pas tout de suite, mais éprouvais une bizarre impression de déjà-vu.
Un clic de cerveau plus tard et l'intérieur réintégrait en décalé l'écorce.
En cette fin 2008, Ether m'avait changé en cygne mais au fond, j'étais toujours le petit canard de province qui claudique, pataud dans sa basse-cour, en contemplant ses voisines. À ras de terre il a les plumes grises, elles les plumes blanches et l'immatérialité des anges faits d'une autre chair.
Aussi me rappelai-je ce soir où, pomponnée et parfumée, les miroirs des vitrines et les yeux des hommes me disaient que j'étais jolie.
Je pris le métro, guillerette, pour rejoindre Salomé au théâtre. En milieu de ligne, une femme monta dans le wagon.
Ce fut comme une apparition.
Mon cœur foudroyé en rata un battement.
Cette femme n'était ni jolie ni belle, mais sublime. Ses traits purs sortaient du burin d'un maître, sa blondeur et son teint délicats de la palette d'un peintre. Bien que décoiffés, ses cheveux retombaient en impeccables cascades sur ses épaules.
Hypnotisée, je fixais une extraterrestre et brûlais de crier aux autres passagers :
- Levez le nez de votre journal et regardez-la ! Êtes-vous donc aveugles ?
Indifférente et souveraine, la femme sortit une pomme de son sac. Je crus naïvement qu'elle allait l'offrir à notre voisine fatiguée, au cou rentré dans son manteau et aux yeux soulignés de tant de cernes.
Pour moi, les anges ne mangent pas, ils se contentent d'exister.
Erreur. La femme croqua telle Ève dans le fruit. Et de trivial ce geste adoubé par sa beauté devint magnifique.
Je descendis à la station d'après.
Ce soir-là, j'aurais cher payé pour être cette femme mangeant une pomme sous la terre. Et peut-être même, qui sait, signé un pacte avec le diable pour devenir un ange.
Sam 10 jan 2009
1 commentaire
Est ce donc si dur de se voir telle que les autres te voient?
Est ce si dur de te voir telle que tu es?
Ou es tu donc aveugle? (même avec les lunettes)
Tu étais ce soir là, tu es toujours très belle coupine. Et vu que c'est moi qui le dit, aucun "mais" possible!! Na!
Bizzzzzzzzzzzzzzzz
ether - le 12/01/2009 à 17h09
Coupinette, je finis par le publier, ce commentaire-là. Tu te doutes que j'y ajouterais bien une foule de "mais", sans pour autant le faire, puisque tu me l'as
interdit.
(Note que cette réponse ressemble fort à une prétérition. Na na nanère.)
Milliers de bises sur tes doigts de fée.
(Note que cette réponse ressemble fort à une prétérition. Na na nanère.)
Milliers de bises sur tes doigts de fée.
Chut !