Le blog de Chut !
Par une fin d'après-midi comme les autres, j'émergeai du métro au retour d'une promenade, traversai la place et arrivai au
pied de l'immeuble de ma mère.
Elle m'avait souvent recommandé de vite en composer le code. Et par précaution, de cacher mes doigts qui le pianotaient, ou de me voûter contre le ciment pour présenter aux curieux le rempart de mes épaules.
Souvent, je m'étais moquée d'elle. Un tel empressement, une telle ruse m'apparaissaient le propre de ceux qui ont quelque chose à dissimuler. Or, rentrant simplement chez moi, j'estimais n'avoir rien à cacher et moins à craindre. Mon âge ne faisait plus de moi une enfant désarmée, ma carrure dépassait celle d'une frêle grand-mère craignant pour son sac à main.
Souvent je plaisantais ma mère sur son goût du drame. Souvent elle me reprochait mon goût du danger.
"Les pires dangers, ma puce, on ne les soupçonne pas. Ils nous tombent dessus au moment où l'on est le plus désarmé."
Je laissais parler l'inquiétude de son amour maternel en secouant la tête. Si moi aussi, je me mettais à penser sans cesse aux dangers tapis dans les coins, à ceux qui rôdaient et s'affûtaient pour mieux me sauter sur le paletot, je me condamnais à vivre dans la peur. Ou à me comporter en victime courbant le dos sous un poids aussi écrasant qu'invisible.
Aussi enfonçai-je les touches du digicode au vu et su de la rue, en chantonnant. À peine tapais-je le dernier numéro qu'une voix m'interrompit :
- Mademoiselle ?
Je sursautai. Me retournai. Un homme se tenait à mes côtés, très ou plutôt trop près. S'il avançait le bras, il pourrait sans peine m'agripper par le cou ou me tirer par les cheveux.
Ce non-respect de la distance de sécurité m'agressa.
- Oui ? répondis-je d'un ton revêche.
- Vous êtes très jolie. J'aimerais vous inviter à boire un verre.
- Non merci.
- Je suis déçu, car en vérité...
Une expression étrange, à la fois défiante et assurée, passa sur son visage.
- ... voilà une heure que je vous suis.
- Pardon ??
- Oui, depuis que je vous ai croisée au Châtelet. Vous êtes entrée dans deux boutiques puis dans le métro. J'ai pris le même wagon pour sortir à la même station. Et pendant tout ce temps, j'étais derrière vous.
Une peur aussi gluante qu'une coulée de cire fondit sur moi.
- Vous êtes fou, m'écriai-je.
- Non, vous me plaisez.
J'eus tout à coup l'impression que ses yeux me salissaient. Parce qu'ils m'avaient observée, détaillée, soupesée, déshabillée peut-être sans que je ne m'en doute.
- Voleur ! criai-je en poussant brutalement la porte pour me ruer dans le hall.
Juste avant que le battant ne se referme, nos yeux se croisèrent une dernière fois. Dans les siens, l'incompréhension.
- Voleur ? articula-t-il en silence, dans le clic de la serrure .
Voleur, oui. Voleur. Cet homme m'avait pris sans me demander ce que je ne voulais ni lui donner, ni lui montrer. Le contenu de mon sac ouvert alors que j'y piochais un mouchoir, le titre du roman que je lisais, ma façon de balayer la mèche de cheveux qui me gênait, ce geste machinal que j'avais pour me gratter le menton.
Tous ces choses minuscules, infinies et sans importance qui étaient moi et qu'il m'avait pendant une heure arrachées. Et toutes ces pensées, peut-être dégoûtantes, dont il m'avait enveloppée. Il avait dû nous imaginer ensemble au café, face à face, avec son pied calinant ma jambe, ses doigts dorlotant mon bras, sa bouche se plaquant sur la mienne.
Ce vol et ces pensées me souillaient davantage qu'une main aux fesses ou la plus vulgaire des insultes, car de moi je me sentais dépossédée.
J'eus la même impression un jour qu'Andrea vint à la maison. Il s'était allongé dans la chambre pendant que je préparais le repas. Virevoltant des casseroles au frigo, du frigo aux assiettes, des assiettes à l'évier, trempant un doigt dans une sauce, mordant le pain à même le quignon, ajustant ma coiffure entre deux tartines, retouchant mon maquillage pendant la cuisson des œufs.
Alors que je me regardai dans le miroir du couloir, j'y vis son reflet, longue forme noire et puissante.
Je bondis, demandant stupidement :
- Tu n'es pas couché ?
- Non, je te regarde.
Je plissai le nez, réembobinant la litanie de mes petits gestes. Certaine de ne point être vue, ne m'étais-je pas laissé aller ? Compromise ou ridiculisée par un mouvement inconvenant ?
L'irruption d'Andrea dans ces instants les plus intimes, ceux où l'on croit être seul avec soi-même, me fut désagréable.
Lui aussi, avec les meilleures intentions du monde, m'avait volé un peu de ce qui m'appartenait.
Quelques années auparavant, j'eus un homme lancé à mes trousses.
Ce vol-là, qui n'eut d'ailleurs pas lieu, je le garde encore un peu pour moi.
Elle m'avait souvent recommandé de vite en composer le code. Et par précaution, de cacher mes doigts qui le pianotaient, ou de me voûter contre le ciment pour présenter aux curieux le rempart de mes épaules.
Souvent, je m'étais moquée d'elle. Un tel empressement, une telle ruse m'apparaissaient le propre de ceux qui ont quelque chose à dissimuler. Or, rentrant simplement chez moi, j'estimais n'avoir rien à cacher et moins à craindre. Mon âge ne faisait plus de moi une enfant désarmée, ma carrure dépassait celle d'une frêle grand-mère craignant pour son sac à main.
Souvent je plaisantais ma mère sur son goût du drame. Souvent elle me reprochait mon goût du danger.
"Les pires dangers, ma puce, on ne les soupçonne pas. Ils nous tombent dessus au moment où l'on est le plus désarmé."
Je laissais parler l'inquiétude de son amour maternel en secouant la tête. Si moi aussi, je me mettais à penser sans cesse aux dangers tapis dans les coins, à ceux qui rôdaient et s'affûtaient pour mieux me sauter sur le paletot, je me condamnais à vivre dans la peur. Ou à me comporter en victime courbant le dos sous un poids aussi écrasant qu'invisible.
Aussi enfonçai-je les touches du digicode au vu et su de la rue, en chantonnant. À peine tapais-je le dernier numéro qu'une voix m'interrompit :
- Mademoiselle ?
Je sursautai. Me retournai. Un homme se tenait à mes côtés, très ou plutôt trop près. S'il avançait le bras, il pourrait sans peine m'agripper par le cou ou me tirer par les cheveux.
Ce non-respect de la distance de sécurité m'agressa.
- Oui ? répondis-je d'un ton revêche.
- Vous êtes très jolie. J'aimerais vous inviter à boire un verre.
- Non merci.
- Je suis déçu, car en vérité...
Une expression étrange, à la fois défiante et assurée, passa sur son visage.
- ... voilà une heure que je vous suis.
- Pardon ??
- Oui, depuis que je vous ai croisée au Châtelet. Vous êtes entrée dans deux boutiques puis dans le métro. J'ai pris le même wagon pour sortir à la même station. Et pendant tout ce temps, j'étais derrière vous.
Une peur aussi gluante qu'une coulée de cire fondit sur moi.
- Vous êtes fou, m'écriai-je.
- Non, vous me plaisez.
J'eus tout à coup l'impression que ses yeux me salissaient. Parce qu'ils m'avaient observée, détaillée, soupesée, déshabillée peut-être sans que je ne m'en doute.
- Voleur ! criai-je en poussant brutalement la porte pour me ruer dans le hall.
Juste avant que le battant ne se referme, nos yeux se croisèrent une dernière fois. Dans les siens, l'incompréhension.
- Voleur ? articula-t-il en silence, dans le clic de la serrure .
Voleur, oui. Voleur. Cet homme m'avait pris sans me demander ce que je ne voulais ni lui donner, ni lui montrer. Le contenu de mon sac ouvert alors que j'y piochais un mouchoir, le titre du roman que je lisais, ma façon de balayer la mèche de cheveux qui me gênait, ce geste machinal que j'avais pour me gratter le menton.
Tous ces choses minuscules, infinies et sans importance qui étaient moi et qu'il m'avait pendant une heure arrachées. Et toutes ces pensées, peut-être dégoûtantes, dont il m'avait enveloppée. Il avait dû nous imaginer ensemble au café, face à face, avec son pied calinant ma jambe, ses doigts dorlotant mon bras, sa bouche se plaquant sur la mienne.
Ce vol et ces pensées me souillaient davantage qu'une main aux fesses ou la plus vulgaire des insultes, car de moi je me sentais dépossédée.
J'eus la même impression un jour qu'Andrea vint à la maison. Il s'était allongé dans la chambre pendant que je préparais le repas. Virevoltant des casseroles au frigo, du frigo aux assiettes, des assiettes à l'évier, trempant un doigt dans une sauce, mordant le pain à même le quignon, ajustant ma coiffure entre deux tartines, retouchant mon maquillage pendant la cuisson des œufs.
Alors que je me regardai dans le miroir du couloir, j'y vis son reflet, longue forme noire et puissante.
Je bondis, demandant stupidement :
- Tu n'es pas couché ?
- Non, je te regarde.
Je plissai le nez, réembobinant la litanie de mes petits gestes. Certaine de ne point être vue, ne m'étais-je pas laissé aller ? Compromise ou ridiculisée par un mouvement inconvenant ?
L'irruption d'Andrea dans ces instants les plus intimes, ceux où l'on croit être seul avec soi-même, me fut désagréable.
Lui aussi, avec les meilleures intentions du monde, m'avait volé un peu de ce qui m'appartenait.
Quelques années auparavant, j'eus un homme lancé à mes trousses.
Ce vol-là, qui n'eut d'ailleurs pas lieu, je le garde encore un peu pour moi.
Mar 6 jan 2009
1 commentaire
paris by night.....paris dangerous....
c'st jamais light quand rodent des fous...
oula je m'égare a nouveau :)
dsl
yohann - le 07/01/2009 à 16h34
La prochaine fois, promis, je m'arrête en bas de chez toi pour te les envoyer ! :)
Chut !