Le blog de Chut !
- C'est
moi.
- Oui.
- Tu vas bien ?
- Oui.
Un silence coupé de klaxons et de pétarades de scooters retombe. Un bruit guttural résonne soudain dans le combiné. Andrea se racle la gorge, comme s'il cherchait tout au fond des phrases qui refusent de sortir.
- Je te dérange ?
- Non.
- Tu n'es pas très bavarde...
- En effet.
Deux contre six, voilà ce que je lui offre.
Deux mots à la suite contre six jours sans nouvelles, hormis le réglementaire sms de bonne année, c'est pas si mal payé.
Après deux vient trois, et de ce chiffre-là je lui ferai également cadeau :
- Trois, dis-je.
- Pardon ?
- Trois mois. La durée de mon prochain voyage. J'ai réservé mon billet.
- Ah.
- Oui. Ah.
Après trois vient quatre. Un quatre en couperet, car Andrea annonce :
- Je vais devoir raccrocher. Je suis juste sorti acheter du pain.
Je brûle de lui demander s'il a pris un bâtard ou une miche.
- Tu es triste ? interroge-t-il.
- Non, en colère. Pour le coup, y a des pains qui se perdent. Racheter une semaine de silence radio par un pauvre coup de fil... Tu as dû voir le Père Noël.
- Faut qu'on parle.
- Parlons donc. J'ai tout mon temps et du pain surgelé plein le congélateur, moi.
Sans oublier de la bile ras la bouche et cinq doigts pour lui raccrocher au nez. En hiver, celui d'Andrea est toujours bouché à cause du froid. Pas le mien qui flaire que là, ça sent mauvais.
Entretemps, Ether est venue à la maison et repartie. Mon idée était de les présenter l'un à l'autre. Pour le plaisir de les réunir, bien sûr, mais aussi pour la confiance et l'engagement que cette rencontre signifiait : les hommes qui passent, on ne les présente pas. Surtout à ses amies.
L'offre est restée emballée dans son paquet, vague rebut abandonné sous le sapin.
- Tu es libre mardi ?
Mardi sonne à mes oreilles comme la Saint-Glinglin des calendes grecques. J'accepte néanmoins, puisque pour se disputer, il faut bien convenir d'une date.
- Minute, je vérifie.
- Vrai... J'avais oublié que ton agenda est digne d'une femme d'affaires.
La plaisanterie tombe à plat alors que le flot aigre de ma bile me monte à la langue. Une brève morsure pour ne pas rétorquer :
"Mêle-toi donc des tiennes, d'affaires."
Et je repense à ce jour pas si lointain où Andrea me proposa :
- Si ça ne va pas, si tu as besoin de te confier, appelle-moi.
Le jour des confidences est arrivé. Il est en -di mais ne s'appelle pas mardi.
Pas de bol, vraiment. La prochaine fois, je coordonnerai mon coup de blues à son agenda.
Andrea a beau avoir les sinus encombrés, il n'est point sourd. Aussi a-t-il très bien entendu le boulet de canon qui lui siffle que mardi, il me perdra. Aujourd'hui dimanche, c'est cette peur qui s'affiche en toutes lettres sur mon téléphone :
"Voyons-nous cet après-midi, veux-tu ?"
En femme d'affaires surbookée au lit, j'efface le message. La lecture d'Au Pays des vivants m'interdit de poser un orteil dehors, dans un froid de sépulcre.
Une poignée d'heures plus tard, Andrea finit de guerre lasse par m'appeler :
- Voyons-nous ce soir, veux-tu ?
"Les boulangeries sont donc fermées ?"
Encore une réplique acerbe que je ravale avec ma bile.
Au café, sa main se pose sur mon bras. Doucement, comme s'il craignait de le briser ou ne voyait en moi une bête impossible à apprivoiser. Le geste me touche. Mais sous cette caresse comme sous les coups de fouet, ce n'est pas la reddition qui vient.
C'est le défi de mon menton redressé et de mes pupilles dans les siennes plantées.
- Alors ?
- Alors... J'ai été négligent, j'ai été injuste.
J'acquiesce tandis que les mots d'Andrea roulent sur moi, m'enveloppent et m'enserrent pour me débusquer.
Pas question de sortir de ma tanière.
Murée dans le silence, je l'écoute en songeant à cette promenade où je marchais à trois pas de lui comme un chien galeux. À ces appels où son visage à elle s'affichait sur le téléphone, à tous ces "Ma puce" murmurés.
Moi, je suis la fille du pain, du quignon, de la croûte.
Une fille trop vieille et fatiguée pour jouer encore à ce genre de jeux.
Mes doigts gelés entourent la bougie posée entre nous sur la table. Ça sent le brûlé. Un de mes cheveux a cramé dans la flamme.
Soudain, je suis une fille tordue d'angoisse qui pleure sans un bruit ni un geste, débordant d'un chagrin qu'Andrea ne comprend pas.
Normal. À cet instant, je ne le comprends pas moi-même.
Demain est un autre jour. Je m'achèterai de la brioche.
La photo est d'Amaury Marquez
- Oui.
- Tu vas bien ?
- Oui.
Un silence coupé de klaxons et de pétarades de scooters retombe. Un bruit guttural résonne soudain dans le combiné. Andrea se racle la gorge, comme s'il cherchait tout au fond des phrases qui refusent de sortir.
- Je te dérange ?
- Non.
- Tu n'es pas très bavarde...
- En effet.
Deux contre six, voilà ce que je lui offre.
Deux mots à la suite contre six jours sans nouvelles, hormis le réglementaire sms de bonne année, c'est pas si mal payé.
Après deux vient trois, et de ce chiffre-là je lui ferai également cadeau :
- Trois, dis-je.
- Pardon ?
- Trois mois. La durée de mon prochain voyage. J'ai réservé mon billet.
- Ah.
- Oui. Ah.
Après trois vient quatre. Un quatre en couperet, car Andrea annonce :
- Je vais devoir raccrocher. Je suis juste sorti acheter du pain.
Je brûle de lui demander s'il a pris un bâtard ou une miche.
- Tu es triste ? interroge-t-il.
- Non, en colère. Pour le coup, y a des pains qui se perdent. Racheter une semaine de silence radio par un pauvre coup de fil... Tu as dû voir le Père Noël.
- Faut qu'on parle.
- Parlons donc. J'ai tout mon temps et du pain surgelé plein le congélateur, moi.
Sans oublier de la bile ras la bouche et cinq doigts pour lui raccrocher au nez. En hiver, celui d'Andrea est toujours bouché à cause du froid. Pas le mien qui flaire que là, ça sent mauvais.
Entretemps, Ether est venue à la maison et repartie. Mon idée était de les présenter l'un à l'autre. Pour le plaisir de les réunir, bien sûr, mais aussi pour la confiance et l'engagement que cette rencontre signifiait : les hommes qui passent, on ne les présente pas. Surtout à ses amies.
L'offre est restée emballée dans son paquet, vague rebut abandonné sous le sapin.
- Tu es libre mardi ?
Mardi sonne à mes oreilles comme la Saint-Glinglin des calendes grecques. J'accepte néanmoins, puisque pour se disputer, il faut bien convenir d'une date.
- Minute, je vérifie.
- Vrai... J'avais oublié que ton agenda est digne d'une femme d'affaires.
La plaisanterie tombe à plat alors que le flot aigre de ma bile me monte à la langue. Une brève morsure pour ne pas rétorquer :
"Mêle-toi donc des tiennes, d'affaires."
Et je repense à ce jour pas si lointain où Andrea me proposa :
- Si ça ne va pas, si tu as besoin de te confier, appelle-moi.
Le jour des confidences est arrivé. Il est en -di mais ne s'appelle pas mardi.
Pas de bol, vraiment. La prochaine fois, je coordonnerai mon coup de blues à son agenda.
Andrea a beau avoir les sinus encombrés, il n'est point sourd. Aussi a-t-il très bien entendu le boulet de canon qui lui siffle que mardi, il me perdra. Aujourd'hui dimanche, c'est cette peur qui s'affiche en toutes lettres sur mon téléphone :
"Voyons-nous cet après-midi, veux-tu ?"
En femme d'affaires surbookée au lit, j'efface le message. La lecture d'Au Pays des vivants m'interdit de poser un orteil dehors, dans un froid de sépulcre.
Une poignée d'heures plus tard, Andrea finit de guerre lasse par m'appeler :
- Voyons-nous ce soir, veux-tu ?
"Les boulangeries sont donc fermées ?"
Encore une réplique acerbe que je ravale avec ma bile.
Au café, sa main se pose sur mon bras. Doucement, comme s'il craignait de le briser ou ne voyait en moi une bête impossible à apprivoiser. Le geste me touche. Mais sous cette caresse comme sous les coups de fouet, ce n'est pas la reddition qui vient.
C'est le défi de mon menton redressé et de mes pupilles dans les siennes plantées.
- Alors ?
- Alors... J'ai été négligent, j'ai été injuste.
J'acquiesce tandis que les mots d'Andrea roulent sur moi, m'enveloppent et m'enserrent pour me débusquer.
Pas question de sortir de ma tanière.
Murée dans le silence, je l'écoute en songeant à cette promenade où je marchais à trois pas de lui comme un chien galeux. À ces appels où son visage à elle s'affichait sur le téléphone, à tous ces "Ma puce" murmurés.
Moi, je suis la fille du pain, du quignon, de la croûte.
Une fille trop vieille et fatiguée pour jouer encore à ce genre de jeux.
Mes doigts gelés entourent la bougie posée entre nous sur la table. Ça sent le brûlé. Un de mes cheveux a cramé dans la flamme.
Soudain, je suis une fille tordue d'angoisse qui pleure sans un bruit ni un geste, débordant d'un chagrin qu'Andrea ne comprend pas.
Normal. À cet instant, je ne le comprends pas moi-même.
Demain est un autre jour. Je m'achèterai de la brioche.
La photo est d'Amaury Marquez
Lun 5 jan 2009
1 commentaire
Ma coupine, tu ne comprends pas tes larmes? Vraiment?
Moi, je crois que tu les comprends trop bien...
Etre la fille de la croûte n'est un plaisir pour personne, surtout lorsqu'on s'est laissé prendre au piège, non?
Tu me l'as dit lorsque j'étais là; trois mois.
Trois mois durant lesquels ton coeur y verra plus clair, trois mois qui te permettront de prendre de la distance avec ce qui heurte.
Patience coupine, si tu es trop vieille et fatiguée pour jouer à ces jeux là (que je te comprends!), il y a d'autres amusements en plus d'être à ta portée, t'apporteront ce que tu souhaites vraiment. Ca, je le sait.
Plein de bisous tout doux coupine!!
ps: t'inquiètes pas, ça va bien.
ether - le 05/01/2009 à 15h48
Ma belle, finalement, ce que je n'ai pas compris, c'est la soudaineté et la violence de ces larmes-là. Elles arrivaient presque hors de propos, comme une déferlante,
dans un tourbillon d'images. On en reparlera avant que je ne m'envole... Mais tu sais que même loin, je suis tout près.
Bizbiz, super-amie !
Bizbiz, super-amie !
Chut !