Le blog de Chut !

Il avait dit qu'on se retrouverait à l'hôtel. J'y avais cru, lui aussi. Mais alors que je sirotais un verre avec Ether, il appela.
- En fait, ce n'est pas vraiment un hôtel...
- Ah ? Comment ça, "pas vraiment" ? Tu veux dire une auberge de jeunesse ? Un gîte rural ? Une chambre chez l'habitant ?
- Non, non, tu vas rire. Enfin, peut-être pas. C'est... un monastère.
- Un... monastère ? Un vrai, avec la messe, des moines dedans et des croix partout ?
- Ben oui. Un monastère, quoi.
"Un monastère, nom de Dieu !"
pestai-je in petto, rayant aussitôt le "nom de Dieu" pour lui substituer un "mince, la vache" beaucoup plus convenable.
J'allais chez les Pères, flûte. À défaut de me racheter une conduite, des indulgences ou une paire de bottes neuves, fallait que j'ai au moins le juron non blasphématoire.

Je raccrochai.
-
Paulien et moi ne dormons pas à l'hôtel, mais dans un monastère, dis-je platement à Ether.
Je ne sais plus si elle sourit dans son Martini ou me regarda, circonspecte, entre deux gorgées.
- Un monastère ? Intéressant.
- Ouéééé, vachement, fis-je. Oups. Pardon. Oui, extraordinaire au sens premier du terme.
- Tu veux des cacahuètes ?
- Ouais. Des olives aussi. Le salut de mon âme étant déjà compromis, autant m'empiffrer.


Paulien arriva une heure plus tard, des prospectus plein ses poches. Sur chacun, le détail des séminaires à venir proposés par ledit monastère. Tous trois nous amusâmes à les consulter pour les remettre en ordre, selon leur thématique.
Ce qui donnait :
- petit un : Retraite selon exercices spirituels.
Celui-ci, vu le titre attirant comme une porte de d'abbaye - pardon, de prison selon l'expression consacrée -, on ne l'a même pas lu.

- petit deux : Stages célibataires.
Celui-là n'était censé intéresser ni Paulien ni moi, puisque nous étions là en couple. N'empêche qu'il m'intéressait, ce qui peut s'appeler un aveu.
Ether lut, hilare :
"Est-ce que Dieu a voulu que je sois célibataire ?
A-t-Il un projet sur chaque être humain au point que ce serait une erreur de vouloir faire sa propre volonté ?
Eh bien, non, Dieu n'a pas décrété que tu devrais être célibataire."

Ouf.
Mince, la vache, nous étions rassurés sur les voies impénétrables du Seigneur.
Le célibat n'était donc pas une croix à porter. Et que Saint-André,
grâces lui soient rendues, n'y mette point ses gros doigts sous peine de semer la pagaille.

- petit trois : Est-ce bien lui ? Est-ce bien elle ?
Mouais. Le jour où je serai voyante, je te sortirai ma boule de cristal. Au singulier, bien sûr, puisque je ne suis plus triviale.
N'empêche que ma curiosité était piquée par les "sept tests de qualité de l'amour", qui sonnaient à mes oreilles comme le contrôle usine du blanc de dinde en barquettes.
Assez ferme, assez tendre, assez goûteuse parce qu'élevée au grain ?
Circulez ma bonne dame, le grand amour est dans le pré. Au fond à gauche.

- petit quatre et cinq (je la fais brève, les explications, c'est comme les plaisanteries, les plus courtes sont les meilleures) : Préparation au mariage / Crise et nouvelle naissance.
De toute façon, ni Ether, ni Paulien qui a déjà deux enfants, ni moi n'étions concernés.
Nos préoccupations immédiates se bornaient, pauvres pécheurs que nous sommes, au contenu de nos verres, vides comme un chemin de Compostelle sans pèlerins.

Lorsqu'Ether nous quitta, nous savourâmes des nourritures toute terrestres. Je me maudis de n'avoir pas assez d'appétit pour engloutir deux desserts. Vu mes horaires, le petit-déjeuner au monastère, aussi
auroral que frugal, se déroulerait sans moi.
Retraite monacale oblige, n
ous rejoignîmes les lieux en taxi.
Quand on pratique au quotidien de spirituels exercices, on ne fricote pas avec le centre-ville, ça ferait mauvais genre.

Une longue course dans les faubourgs aixois et la demi rase campagne nous
fit échouer à bon port. L'ordinateur pendu à un bras, j'ouvris de grands yeux.
L
e lieu était sans conteste superbe. Aussi superbe que désert et glacé, ouvrant la perpective d'un couloir immense traversé de courants d'air.
La chambre, elle, était brûlante. Aussi brûlante que le couloir menant aux sanitaires était réfrigéré.
Je me voyais déjà le parcourant de nuit en petite culotte, rêvant de lévitation. Rien que l'idée du sol froid paralysant mes orteils me poussait par avance à claquer des dents.
- Tu t'arrêtes à rien, ma fille, me reprochai-je.
Allez, arrête de jouer la bégueule.
En voyage, certes, je dors dans des hôtels vraiment pourris. Dans des chambres crasseuses sans salle de bains attenante, sur des matelas mités, avec des cafards gros le majeur que je leur brandis paressant sur les murs.
Mais là, je ne suis pas vraiment en voyage. Et puis c'est l'hiver et je déteste le froid. Et puis je ne m'attendais pas à ça.
Nom de Dieu.
Si ça se trouve,
avec l'âge, je m'embourgeoise.

J'ai encore le manteau serré jusqu'à la glotte tandis que Paulien me pousse contre le mur. Sur ses lèvres, ce sourire de l'homme décidé à oblitérer mes soucis en me prenant par le haut, le bas et le milieu.
Bien que réticente, je souris en retour, prête à me laisser convaincre.
Que ses mains me dépiautent de mes peaux de tissu, empruntent sur ma peau nue le sentier de nos retrouvailles et à lui je m'abandonnerai, rendue et reconnaissante de combler l'espace qui s'est agrandi entre nous, me forçant malgré moi à mesurer le chemin parcouru depuis cet été.
Un chemin qui, après nous avoir rassemblé, nous a peu à peu séparés.

Soudain, c'est un drame de rien.
Paulien, voulant défaire le premier bouton de mon manteau, le casse net en deux.
En temps normal, j'aurais éclaté de rire. Mais là, non. Une colère aussi injuste que froide m'étreint la gorge et en déborde :
- C'est pas vrai, bordel ! Voilà des années que je l'ai, ce manteau, et toi... toi...
Entendant mon ton accusateur, je me tais, honteuse de me changer en harpie pour un vulgaire morceau de plastique.

Un bouton, ce n'est rien, en effet. Mais à cet instant-là, ce fut le rien qui montrait que non, décidément, rien n'allait plus.
Notre histoire fut dès le départ une surprise réciproque, car ni Paulien ni moi n'étions prêts à laisser une chance à une belle rencontre. Nous voulions vivre et jouir sans entraves, oublieux d'un passé qui nous blessait, avides de cueillir un jour après l'autre sans promesse de lendemain.
Que Paulien restât chez moi après la première nuit fut un étonnement.
Après le réveil, je cherchai une excuse pour le virer avant de conclure que non, j'avais envie qu'il reste.
- Je me sens bien avec toi, disait-il.
Moi aussi, je me sentais bien. Bien et étonnée alors qu'il m'appelait de l'extrême sud pendant ses vacances pour me parler des bateaux dérivant en pleine mer, baignés par la lumière d'un phare. Bien dans son appartement "au diable", me levant de notre lit pour chercher des croissants. Bien en m'endormant repliée entre ses bras alors qu'il me murmurait des mots interdits.
Bien avant d'être mal.


À Paulien j'ai demandé plusieurs fois une chose qu'il n'a pas faite.
Alors que,
les larmes aux yeux, je la lui rappelais dans le monastère débordant de silence, il répondit :
- Je n'ai pas mesuré l'importance qu'elle avait pour toi. Pardonne-moi.
Je pouvais le pardonner que le ver avait déjà rongé le fruit.
- Au cours de ces mois je ne t'ai pas demandé grand-chose. Alors, ce désintérêt-là signifie soit que tu ne me respectes pas, soit que tu te fiches de moi.
- Ni l'un ni l'autre, je te le jure.

J'avais beau le croire, tant pis.
La blessure de ma relation ancienne, où j'avais demandé sans être entendue alors que j'en avais tant besoin, s'était ravivée.
Entre lui et moi quelque chose s'était brisé. Il était trop tard pour la réparation.

Nous donnâmes le change une journée encore.
Le soir, en revenant de chez Ether, nous ne jouâmes point la comédie des amants désaccordés. Le drame, les larmes, nous avions déjà donné.
Paulien s'endormit, tourné contre le mur, alors que je veillais.

Au petit matin, il n'y avait plus d'eau dans le monastère, juste un soleil incongru qui inondait les volets de la chambre où Paulien n'était plus.
J'ouvris la fenêtre, aveuglée, songeant que ma route était droit devant, rugueuse comme l'ombre qui m'enveloppait, radieuse comme les rayons qui me caressaient.
Je rassemblai mes affaires dans mon sac.
Le bouton pulvérisé resta sur le sol de la chambre.

Nous rentrâmes un jour plus tôt sur Paris.

Pardon à Ether pour les libéralités que j'ai prises avec notre dialogue.
Mer 17 déc 2008 2 commentaires
Les libéralités sont amplement pardonnées!! Je crois avoir souri dans mon Martini à l'annonce de ton lieu de villégiature... Cela aura l'interêt de nous offrir une bonne tranche de rire. Que dire d'autre que je ne t'aurais pas déjà dit à ce sujet... Je t'embrasse coupine!!
ether - le 17/12/2008 à 12h18
C'est bien ce qui me semblait ! Sinon, on va quand à l'hôtel ? :)
Smac smac, ma coupine.
Chut !
Ma chère Chut, C'est un vrai bonheur de te lire. Si je devais commenter tout ce qui me plaît sur ton blog, j'y passerai la journée lol Tu es "mon pain quotidien" comme on dit... Bises Anna
Anna - le 17/12/2008 à 16h53
Oh, Anna ! Que ça me fait plaisir (surtout quand j'écris des tartines) !
À très très vite... chez toi, où je me sens si bien.
Bises, belle dame.
Chut !