Le blog de Chut !
Tu auras la mine chiffonnée de ceux qui sortent des avions et sur toi l'odeur d'autres corps. Celle, trop lourde du parfum capiteux de ta voisine, qui t'aura fait dire en t'asseyant "Jamais je ne tiendrai, je vais vomir", avant de t'y habituer parce qu'on s'habitue à tout, même à l'intolérable.
Celle, rance de peur de ton voisin, qui n'arrêtera pas de se signer alors que l'appareil roulera à toute allure sur la piste. Tu brûleras de lui rabattre les bras sur le fauteuil en lui ordonnant d'arrêter son cirque mais, cloué toi aussi sur ton siège, tu n'auras pas un geste.
L'appréhension commencera d'ailleurs à te gagner, tant la peur est
contagieuse. Tu auras beau te répéter que l'avion est le moyen de transport le plus sûr, statistiques à l'appui, des catastrophes et autres histoires de compagnies véreuses te reviendront en
tête.
L'avion est sûr, oui, à condition qu'il ne se crashe pas. Là, personne n'en réchappe.
Soudain inquiet, tu penseras aux gros titres des journaux et à ton nom sur une liste de disparus. À tes parents, à la femme que tu laisseras derrière toi et à tes enfants pas encore nés. Peut-être même, s'il reste encore de la place, aux traites de cette maison immense que tu n'as pas fini de payer. Et tu te diras que tu as été bien con de t'engager sur vingt ans alors la vie est si courte. La tienne spécialement, de vie, puisque dans dix minutes, tu es mort.
Et tu t'apitoieras sur toi-même, parti trop tôt alors que tu avais tant à accomplir, rejoignant ainsi, sans le savoir, un flux de consciences montant de ce pays que tu survoles, de tous ces gens blottis dans leur maison, éclopés, malades, ou simplement malheureux.
Tout homme, un jour, regrette son destin.
Et tu te sentiras encore plus con de n'avoir accompli ce voyage que pour étreindre une inconnue.
Et tu te sentiras la force la force du lion si tu en réchappes, te promettant de la garder pour mieux mener ton
existence, serrer plus fort le gouvernail dans les tempêtes.
Soudain irrité de ton inquiétude, tu penseras à comment mettre en douce un Valium dans le verre de ton voisin. Ce Valium que tu gardes toujours dans ton bagage cabine, au cas où. La boîte est encore intacte, car tu t'en méfies encore plus que de ce gros homme qui geint maintenant sa trouille sur sa tablette.
Les benzos, ça rend dépendant, et toi, tu n'as jamais supporté la dépendance. Tu as même lu, une fois, qu'elle n'était
bonne que pour les animaux domestiques. Ça t'a fait sourire sans ironie aucune, de toute la force des pensées justes.
À mesure du vol, ton voisin se décontractera en grignotant ton espace vital sur l'accoudoir : à peine auras-tu déplacé ton coude qu'il viendra loger sa grosse patte sur la place vacante. De centimètre en centimètre, il n'y en aura bientôt plus un de libre. Aussi devras-tu voyager les mains sur les cuisses, râlant de la position inconfortable que les autres te forcent à adopter. Parce qu'après ton voisin en expansion, c'est la passagère devant toi qui abaisse son siège en te bousillant les rotules.
Tu es si grand que tu as déjà douté pouvoir te caser dans l'interstice de ta place.
- Eh ! Je ne suis pas contorsionniste... as-tu pesté en prenant conscience de ses mesures.
Tu avais pourtant demandé à l'hôtesse lors de l'enregistrement :
- S'il vous plaît, mettez-moi sur une issue de secours. Sinon, je ne pourrai pas m'asseoir.
Pour lui prouver à quel point ta requête était justifiée, tu t'étais redressé de toute ta hauteur en ébouriffant tes
cheveux. Parce qu'un jour, une amante t'avait dit qu'avec la tignasse en l'air, tu paraissais encore plus impressionnant.
L'hôtesse t'avait répondu "Mais bien sûr, Monsieur" dans un beau sourire commercial. Ce sourire qui te l'avait rendue si belle alors qu'elle n'était qu'une belle menteuse. Ou une belle salope, tiens, tellement tu as matière à t'énerver.
Parce qu'au lieu de l'issue de secours promise, tu as hérité de la travée centrale, de sa mémère qui empeste, de sa greluche qui incline son dossier en forçant bien sur tes genoux et de son gros lard sans gêne.
Tu te surprendras à penser que ces deux-là, tu les préférais avant. La première lorsqu'elle pérorait à perte de ciel tandis que tu priais pour qu'elle se la boucle, en déplorant qu'elle soit démunie de bouton off. Le second lorsque, tassé de trouille, il ne t'obligeait pas à te ratatiner comme un flan trop cuit.
Lui non plus n'a pas de bouton off, et c'est bien dommage. Parce qu'en plus, il ronfle.
Moi, à des milliers de kilomètres, je ne penserai pas à un bouton off mais à un bâillon. Celui qui étouffera mes cris alors que tu me baiseras ou éteindras dans ma gorge les mots que j'aurais pu te dire.
Entre nous, il n'y aura pas de mots. Juste la nuit et ton sexe dans le mien, puisque c'est pour cela que tu es venu.
Aussi ne te dirai-je rien. Ni "bonjour", ni "merci", ni "au revoir", et encore moins "reviens".
Non. Je penserai juste au
murmure d'une chanson d'Higelin qui commence par "C'est pour toi...". Et j'en rirai, parce qu'en me lisant, je sais que tu ne te reconnaîtras pas.
Je ne connaissais Christine Orban que de nom, tu m'as donné envie de lire ses romans. Un ptit ajout prioritaire à ma liste de lecture, pour tout bientôt.