Le blog de Chut !

Deux bras dansent comme des flammèches sur le noir.
Achille s'approche du pas assuré du gorille dominant et me gratifie du sourire carnassier du fauve.
Ni ses photos ni son style littéraire n'ont menti : cet homme est sans conteste un bel animal trop bien pommadé.

Il a la veste de smoking chantilly-crème coupée nickel. La pochette en soie chocolat du ton tranchant pile. La chemise blanche ouverte jusqu'au bouton qu'il faut. Le jeans un peu large du minet raccord avec la dernière mode, parfaitement à l'aise dans ses mocassins griffés.
De cap en pied, ce mélange d'apprêté et de décontracté sonne chic et toc. À l'image de son visage trop lisse pour son âge avoué, de ses cheveux gominés au gel ou de sa barbe de deux jours faussement négligée.
Le méticuleux travail de la tondeuse est passé par là, ça crève les yeux.

Le point d'achoppement de sa beauté est aussi mon point d'accroche : Achille a, près de la tempe, une profonde cicatrice blanchâtre.
C'est elle que je fixe alors que nous nous asseyons face à face. Elle que je me retiens d'effleurer alors qu'il détourne la tête pour héler le garçon.
La carte du bar entre les mains, nous hésitons : l'heure est celle du café ou du dernier cocktail.
Achille commande du chaud, j'opte pour du froid.
Il sucre largement sa boisson, je sirote l'amertume de la mienne.
Tandis que l
a discussion s'engage, la fracture entre nos mondes est consommée.

Achille est sûrement habitué à ce que les femmes boivent ses paroles. Moi, je ne bois que mon whisky. Et je l'écoute parler de lui, de son travail à la télévision, non avec l'engageante courbure des fleurs désirant être cueillies, mais avec la rigidité du chardon pas prêt d'être fauché.
Attentive mais pas extasiée, intéressée mais pas conquise.

Ceci expliquant - peut-être - cela, la préciosité a disparu de ses propos. Restées à quai, les formules de gare dévolues aux romans du même acabit. Remballés dans les cartons, les tendres signes d'une virtuelle complicité.
C
e ne sont plus des charmes frelatés qu'il cherche à me vendre, mais son intelligence.
Je ne peux qu'approuver car intelligent, il l'est.
À peu près autant que sûr de lui.

La nuit desserre l
entement son poing d'ombre sur la capitale. Un à un, les clients égrillards, le fêtard esseulé et les prostituées russes ont déserté le bar.
Achille et moi sommes les derniers résistants ou empêcheurs de baisser de rideau, dont le serveur exténué souhaite le départ sans oser le demander.
Pour nous y encourager, il pousse les tables et empile les chaises de la terrasse en commençant par les plus éloignées. Mais bientôt, il n'y a plus rien à mettre en ordre.
- Vous désirez autre chose ?
- L'addition, merci.

Voilà l'heure du coup de torchon, celle où l'on règle les comptes
.
Je barbote la facture sous le nez d'Achille. Il proteste de l'air offensé du mâle atteint dans ses prérogatives.
- Laisse, c'est pour moi !
- Non.

Mon refus ne s'adoucit pas de la promesse d'une réciprocité.
Il n'y aura pas d'autre verre, je veux rentrer.
- Je te dépose ?
Achille, faufilant une main sous mon bras, m'entraîne vers sa voiture.
À mes yeux, toutes les carrosseries montées sur quatre roues se ressemblent. Totalement incapable de les différencier, je ne les reconnais qu'à leur plaque, exceptions faites de celles que mon père, fou d'automobiles, collectionne.
Or, cette voiture m'est familière. Mais si mon paternel possède l'originale dans son garage, Achille n'en détient que la réplique : la tôle est trop lustrée pour dater du siècle dernier, le cuir des sièges pas encore patiné par le derrière des passagers.
Chic et toc... Cet ersatz de pièce de maître résume à lui seul l'homme qui accentue la pression sur mon coude.
- Alors... Je te raccompagne ?
Si une ficelle de la séduction consiste à montrer sa grosse bagnole à une femme, j'ai déjà le ciseau pour couper la corde.
Mais cela,
Achille l'ignore.

J'hésite c
oincée entre deux feux.
Je
prendrais bien, seule, un bol d'air et de nostalgie dans le froid âpre du matin. Longerais ce boulevard qui mène au jardin de mes années d'étudiante. Attendrais l'ouverture des grilles pour remonter l'allée conduisant au lac. Regarderais les chaises abandonnées par les promeneurs en imaginant les dialogues de leurs fantômes. Avalerais un café brûlant près du kiosque à musique avant de me traîner chez moi.

Mais je prendrais bien, aussi, cette voiture. M'y vautrerais pour économiser mes jambes. Dériverais dans un demi-sommeil réchauffé par la clim, bercé du ronronnement conjugué du moteur et de la radio.

Les lèvres d'Achille, soudain pressées sur les miennes, m'évitent de répondre. Si agréables lorsqu'elles se taisent, elles pansent ma mélancolie d'une piquante douceur au menthol.
Je recule d'un demi-pas.
La cicatrice qui bat à sa tempe m'invite à ouvrir la portière.

Nous traversons Paris en silence.
- Arrête-toi sur la place, s'il te plaît.
Mon lit est à dix minutes à pied.
J'embrasse Achille une dernière fois, sors de sa voiture et lui tourne le dos, persuadée ne plus jamais avoir de ses nouvelles.
Je me trompais.

(Bientôt la fin...)
Dim 28 sep 2008 3 commentaires
Si je dis que j'ai grand-hâte de savoir la suite, je vais dire des banalités, alors je vais poser une question. C'est toi qui as dessiné le jeune homme semi-négligé?
Cruchotte - le 28/09/2008 à 23h20
Et non, Cruchotte ! Je ne sais dessiner que les femmes... Preuve que j'aurais dû continuer les cours pour finir par croquer la seconde moitié de l'humanité (remarque, je peux toujours m'y remettre !).
Chut !
Mince me voilà tenue en haleine !!! La suiiiiiiiiiite !! (crie du matin !!) Bises ma BBP !
jova - le 29/09/2008 à 09h17
Aaaaaaaaaaaaaarf, je l'ai pas écrite !!!! Ca va venir, promis de juré de craché !
Bisoux !!
Chut !
Et après??? me reste plus qu'à patienter comme les coupines pour avoir la suite... Bizouilles Artémyss
artemyss - le 02/10/2008 à 02h42
Je publie ton comm' et je m'y mets. J'ai finalement déraciné le baobab qui me poussait dans la main.
Bizettes.
Chut !