Le blog de Chut !

Nous venions de passer une excellente soirée. De grignoter des Apéricubes mélangés à du champagne, puis du champagne arrosé de jambon de Parme (ou était-ce l'inverse ?). De parler de films complètement inconnus mais que, surprise, nous avions vu tous les deux.
- Incroyable ! Mais comment tu le connais, ce film ??
- Ben, je l'ai vu au cinéma...
- Moi aussi, et nous étions deux dans la salle.
- Tu vois... Quand je te dis qu'on s'est déjà rencontrés quelque part !
Paulien et moi nous étions déjà rencontrés quelque part, en effet. Au lycée, précisément, alors que j'achevais - laborieusement - la terminale et qu'il était en classe prépa.
Pour les term', les classes prép', c'est déjà presque des vieux.
Pour moi à l'époque, les
classes prép', c'était un autre monde.
Un monde d'intellos
de l'autre côté de la barrière du bac. Un monde auquel je n'appartenais pas pour un diplôme que j'ai failli ne pas passer.

- Eh, minute ! T'étais pas brune à l'époque ?
- Si, si, mais ça m'arrangerait que tu ne te souviennes pas de moi. J'étais vraiment trop moche.
- Pfff... Allez, je n'en crois pas un mot !
- Parfois, tu devrais. Puis il agaçant, ton présupposé. Je ne raconte pas que des conneries !

E
nlacés sur son minuscule balcon, nous avions ri à gorge déployée.
En cette toute fin de juillet, Paris était désert. Mais avec l'effet d'écho sur
les façades d'en face, nos rires rebondissaient sur les briques pour nous revenir, amplifiés.
- Des conneries, ah ah ah !
On aurait juré que c'était la grosse poilade du quartier. Que tous les voisins assemblés, bien planqués derrière volets, nous faisaient chorus pour se désopiler eux aussi la rate.
- Trop moche, ah ah ah !
Ben si, trop moche.
Et puis vos gueules. On veut dormir, maintenant.

Derrière la girouette du toit le plus proche, l'aube commençait à poindre. Rassasiés d'Apéricubes, de champagne, de jambon et de fous rires, Paulien et moi rentrâmes dans l'appartement.
Les baies vitrées se fermèrent sur le silence des immeubles, les stores sur le petit jour.
Le clic-clac
déplié du salon nous attendait. Nous nous fourrâmes en vrac sous les couvertures, roulâmes l'un sur l'autre, ma main sous son tee-shirt, la sienne sous ma jupe.
Nos lèvres se cherchaient,
s'épousaient, s'éloignaient, se bécotaient, reprenaient du champ, se retrouvaient, se mordillaient en excitantes prémisses d'un vrai baiser de cinéma.
Mais pas un cinéma classé B ou Z, comme les films que nous étions les seuls à avoir vus. Notre lettre à nous, c'était le X. Le X avec la langue, la salive, la gaule, la mouille, le désir de prendre et d'être prise.
C'est à la faveur d'une brève séparation que la scène se gâta.
Paulien haleta sur ma nuque une phrase que je ne compris pas.
En vérité et toute honnêteté, je la compris parfaitement, sa phrase. Mais elle me frappa si fort, si loin, d'une façon et avec une violence si inattendues que j'en restai abasourdie.

Brusquement, ma main s'immobilisa sur son torse. Brusquement je me redressai d'un bloc, dégrisée, échevelée, avec l'indignation et la colère d'une fille en butte à un terrible malentendu.
- Pardon ? Tu peux répéter ?
Décontenancé, Paulien s'exécuta néanmoins en toute innocence :
- J'aime beaucoup t'embrasser, ma chérie.

Ma main décolla de sa poitrine pour se rassembler en un poing compact. Un poing duquel émergeait un index menaçant, vengeur, pointé vers sa bouche.
Je m'entendis vociférer d'une voix blanche, d'une voix mauvaise, d'une voix qui n'était pas la mienne :
- Ce mot-là... ma chérie... Hors de question, tu m'entends ? Tu n'en as pas le droit ! Pas le droit, c'est compris ?
Paulien me fixait, étonné, conciliant, alors que je me renfrognai dans un mutisme de glace.
- D'accord, je ne te le dirai plus.
- Dormons, il est tard
, conclus-je.

Nous nous allongeâmes épaule contre épaule, cuisse contre cuisse, front contre front.
Mais les paupières grandes ouvertes sur le noir, je ne pouvais trouver le sommeil. Les pointes et aiguillons de la tendresse et du remords venaient tour à tour me piquer, me transpercer, me pourfendre.

Alors, comme si ma vie en dépendait, comme si j'allais crever pétrifiée sur place, je murmurai à son visage si tranquille et si beau :
- Je t'aime... beaucoup, tu sais.
- Moi aussi,
répondit-il, un regard coulé
de biais entre ses cils.

Je me détournai en enserrant l'oreiller pour mieux le mordre. Brûlant d'agripper en naufragée son bras soudain glissé sur ma taille ou de le repousser pour le lui claquer à la figure.
Le cœur en bataille, je lui assenai du haut de ma tristesse :
- Sauf que bien t'aimer, voilà une excellente raison de me barrer. La meilleure, même.
- Sûr que sans culotte et à six heures du matin, ça aurait de la gueule
, m'objecta-t-il du tac au tac.

S'il était besoin de raisons pour rester avec Paulien, en voilà une excellente. Pas la meilleure, toutefois, juste une de celles qui ont compté : jamais Paulien n'a pris ma rudesse pour de la méchanceté. Il l'a d'emblée située à sa juste place. D'abord parce qu'il est d'une rare finesse, ensuite parce que je compte pour lui, je crois.
"Tu comptes pour moi..." ne sont pas, prononcés par lui à mon oreille, des mots interdits.
Au contraire, j'aime à les entendre, en confidence de sa bouche sur ma nuque.
Dim 31 aoû 2008 1 commentaire
Plus jamais ne te culpabilise d'aimer CHUT ! Sois fière et maîtresse de ce sentiment, éprouve le encore et encore aux détours de ta vie... C'est juste ce qui te donnera la sérénité ultime, te restera au crépuscule de ta vie... Aime toujours, demain, après demain... Tiens après demain justement ! Nous serons le 11 septembre ! Vous aviez dit aimer ?
Léo - le 09/09/2008 à 00h45
Plus que de la culpabilité (envers qui, d'ailleurs ?), c'est de la peur, Léo. Il paraît qu'elle s'apprivoise comme la sérénité se conquiert. Pour l'instant, je suis encore loin de l'un comme de l'autre, mais j'avance, doucement.
Et le 11 septembre, j'ai rendez-vous. :)
Chut !