Le blog de Chut !
Aujourd'hui, j'ai été fouillée.
Fouaillée et sondée jusqu'aux os dans mes replis les plus intimes. Vessie, foie, pancréas, trompes...
Mes organes enfermés dans mon ventre ont aujourd'hui livré leur secret.
- Votre échographie n'est pas normale, m'avait prévenue le médecin il y a deux mois. Je vous prescris un scanner pour en avoir le cœur net.
Aussitôt, j'avais pris rendez-vous dans une clinique. Reçu une ordonnance en retour et m'étais conformée au traitement prescrit : au vu de mes antécédents allergiques, trois fois trois.
À savoir, trois cachets à prendre dans les trois jours précédant l'examen.
Sur les trois médicaments prescrits, j'en supportais bien deux. Le troisième m'expédiait en revanche sur une autre planète.
Le lendemain de chaque prise, le réveil était une pure douleur. Je m'extirpais l'après-midi d'un coma la langue collée au palais, la tête lourde, le cerveau plongé dans du coton.
Tenace impression qu'un semi-remorque m'avait roulée dessus, en marche avant puis arrière.
Hébétée avant même de poser le pied à terre, engluée jusqu'au soir dans un shoot de mauvais trip.
- Pas grave, me disais-je. La vérité est à ce prix puisque dans deux jours... un jour... aujourd'hui... tu sauras.
Première erreur. À jeun depuis la veille, fracassée aux médocs, l'estomac débordant de sulfate de baryum (à boire une heure avant l'examen, histoire de clore les réjouissances), prête à dégueuler mes tripes sur le comptoir du bureau d'accueil, je n'ai pas su.
Leur scanner était tombé en panne quelques heures auparavant.
- Désolée madame, faut reprendre rendez-vous.
Écœurée, au bord des larmes, je n'avais pas eu la force d'ouvrir mon agenda. Juste celle de tourner les talons sans un mot et d'appeler une amie pour lui hurler :
- Leur putain de machine ne marche pas ! J'ai fait tout ce cirque pour rien et je ne suis même pas fixée !
Dix jours plus tard, aujourd'hui, je suis retournée à la clinique.
L'hôtesse qui m'accueille est aussi belle et noire qu'une statue d'ébène, version plus souriante.
- Asseyez-vous, on vous appellera dans cinq minutes, me dit-elle d'une voix chaleureuse.
J'obéis et attends mon tour. Résignée à faire le pied de grue une bonne demi-heure, car le délai qu'elle m'annonce, je n'y crois pas.
Deuxième erreur. À peine cinq minutes se sont-elles écoulées qu'on crie mon nom et qu'une autre déesse noire m'ouvre une porte. Celle d'une petite cabine impersonnelle où elle me somme d'enlever mes chaussures, mon pantalon, mon soutien-gorge et mon collier.
Persuadée que l'imminence de l'examen dépend de ma rapidité, je m'exécute en un éclair.
Troisième erreur. À moitié nue, assise en petite culotte sur le siège de mon réduit, j'attends et entends le déroulé de l'examen en cours :
- Gonflez vos poumons. Ne respirez plus !
Les minutes coulent à une allure de fourmis. Celles qui envahissent mes jambes à mesure que la peur me tord le ventre.
- Dans cinq minutes... dans quatre... dans trois... tu sauras.
Mais soudain, je n'ai plus si envie de savoir. Surtout envie de m'enfuir pour me réfugier chez moi, loin de cet univers glacé de blouses blanches et de machines.
- Entrez, c'est à vous.
Je traverse la pièce pour me coucher sur mon lit de métal. Crucifiée toute droite, jambes allongées et bras tendus derrière la tête, une aiguille fichée au creux de la veine. Marionnette sectionnée soumise aux instruments qui me scrutent, je réponds aux mêmes ordres entendus précédemment :
- Gonflez vos poumons. Ne respirez plus !
Grand moment de solitude, bientôt rompu par l'intervention laconique du technicien :
- Je vous passe la perfusion. La sensation de chaleur que vous ressentirez est tout à fait normale.
Cela dit, il enclenche un bouton et s'éloigne.
Je regarde, fascinée, le poussoir de la machine appuyer sur l'ampoule. Et à mesure qu'elle se répand dans mon corps, je suffoque.
Une main brûlante m'étrangle. J'ai envie de hurler que j'étouffe, mais mes amygdales sont si serrées qu'aucun son ne sort de ma gorge compressée. Bientôt, la main enflamme mes poumons, mon ventre, mon sexe.
Je sens palpiter ses lèvres entre mes cuisses. Cernée par les parois étroites de la machine, j'ai l'impression que je vais crever là comme une chienne, consumée sur le bûcher de l'Inquisition médicale, scrutée par l'œil indifférent de la machine.
- Respirez !
Mon corps démembré n'est plus chair, il n'est qu'organes.
Je respire. Me lève, me rhabille, repasse dans la salle d'attente.
Affamée, assoiffée, je mange et bois enfin.
À côté de moi, une jolie fillette aux yeux bruns regarde avec envie mon paquet de gâteaux. Après avoir demandé la permission à son papa, je lui en donne la moitié. Me réjouis de la voir la dévorer à belles dents, le cœur chaviré à la pensée de l'enfant que je n'aurai peut-être jamais.
Mais voici qu'on m'appelle à nouveau. La femme médecin qui me reçoit a les lèvres pleines et le diagnostic sûr :
- Vous êtes touchée des deux côtés.
Je regarde l'écran qu'elle me désigne, reconnais juste le trajet cambré de ma colonne vertébrale. Le reste s'éparpille en images que je ne comprends pas : un amas de formes indistinctes en dominantes de gris, contrastées du blanc au noir.
Un reste qui ne peut pas être à moi. Que je renie.
Impossible, ce que je vois là n'est pas mon ventre découpé en tranches.
Pas mon ventre, il y a erreur. Une de plus à ajouter à la longue liste des autres. Celles de ce fichu examen repoussé à cause d'une panne stupide, celles de la vie tout court.
Les images se télescopent sous mon crâne alors que le médecin répète doucement, comme pour m'ancrer ses mots dans la tête :
- Vous êtes touchée des deux côtés.
De grosses larmes roulent sur mes joues.
Désarçonnée, compatissante, elle ajoute par dessus ses lunettes :
- Rien n'est joué, vous savez... Mon rôle ne se borne qu'à lire les images et avec les moyens actuels, vous avez de nombreuses possibilités pour avoir un jour un enfant.
Nombreuses, peut-être. N'empêche qu'elles se résument pour l'instant à une opération.
En une heure, voilà mes perspectives de vie chamboulées.
Je croyais avoir encore du temps pour tout, je n'en ai peut-être plus beaucoup.
Et au fond de moi, des questions obsédantes, torturantes que je repousse : et nous ? Et lui ?
Il paraît que tout arrive à point pour qui sait attendre.
Ben non. Parfois, tout arrive trop tôt.
Mes organes enfermés dans mon ventre ont aujourd'hui livré leur secret.
- Votre échographie n'est pas normale, m'avait prévenue le médecin il y a deux mois. Je vous prescris un scanner pour en avoir le cœur net.
Aussitôt, j'avais pris rendez-vous dans une clinique. Reçu une ordonnance en retour et m'étais conformée au traitement prescrit : au vu de mes antécédents allergiques, trois fois trois.
À savoir, trois cachets à prendre dans les trois jours précédant l'examen.
Sur les trois médicaments prescrits, j'en supportais bien deux. Le troisième m'expédiait en revanche sur une autre planète.
Le lendemain de chaque prise, le réveil était une pure douleur. Je m'extirpais l'après-midi d'un coma la langue collée au palais, la tête lourde, le cerveau plongé dans du coton.
Tenace impression qu'un semi-remorque m'avait roulée dessus, en marche avant puis arrière.
Hébétée avant même de poser le pied à terre, engluée jusqu'au soir dans un shoot de mauvais trip.
- Pas grave, me disais-je. La vérité est à ce prix puisque dans deux jours... un jour... aujourd'hui... tu sauras.
Première erreur. À jeun depuis la veille, fracassée aux médocs, l'estomac débordant de sulfate de baryum (à boire une heure avant l'examen, histoire de clore les réjouissances), prête à dégueuler mes tripes sur le comptoir du bureau d'accueil, je n'ai pas su.
Leur scanner était tombé en panne quelques heures auparavant.
- Désolée madame, faut reprendre rendez-vous.
Écœurée, au bord des larmes, je n'avais pas eu la force d'ouvrir mon agenda. Juste celle de tourner les talons sans un mot et d'appeler une amie pour lui hurler :
- Leur putain de machine ne marche pas ! J'ai fait tout ce cirque pour rien et je ne suis même pas fixée !
Dix jours plus tard, aujourd'hui, je suis retournée à la clinique.
L'hôtesse qui m'accueille est aussi belle et noire qu'une statue d'ébène, version plus souriante.
- Asseyez-vous, on vous appellera dans cinq minutes, me dit-elle d'une voix chaleureuse.
J'obéis et attends mon tour. Résignée à faire le pied de grue une bonne demi-heure, car le délai qu'elle m'annonce, je n'y crois pas.
Deuxième erreur. À peine cinq minutes se sont-elles écoulées qu'on crie mon nom et qu'une autre déesse noire m'ouvre une porte. Celle d'une petite cabine impersonnelle où elle me somme d'enlever mes chaussures, mon pantalon, mon soutien-gorge et mon collier.
Persuadée que l'imminence de l'examen dépend de ma rapidité, je m'exécute en un éclair.
Troisième erreur. À moitié nue, assise en petite culotte sur le siège de mon réduit, j'attends et entends le déroulé de l'examen en cours :
- Gonflez vos poumons. Ne respirez plus !
Les minutes coulent à une allure de fourmis. Celles qui envahissent mes jambes à mesure que la peur me tord le ventre.
- Dans cinq minutes... dans quatre... dans trois... tu sauras.
Mais soudain, je n'ai plus si envie de savoir. Surtout envie de m'enfuir pour me réfugier chez moi, loin de cet univers glacé de blouses blanches et de machines.
- Entrez, c'est à vous.
Je traverse la pièce pour me coucher sur mon lit de métal. Crucifiée toute droite, jambes allongées et bras tendus derrière la tête, une aiguille fichée au creux de la veine. Marionnette sectionnée soumise aux instruments qui me scrutent, je réponds aux mêmes ordres entendus précédemment :
- Gonflez vos poumons. Ne respirez plus !
Grand moment de solitude, bientôt rompu par l'intervention laconique du technicien :
- Je vous passe la perfusion. La sensation de chaleur que vous ressentirez est tout à fait normale.
Cela dit, il enclenche un bouton et s'éloigne.
Je regarde, fascinée, le poussoir de la machine appuyer sur l'ampoule. Et à mesure qu'elle se répand dans mon corps, je suffoque.
Une main brûlante m'étrangle. J'ai envie de hurler que j'étouffe, mais mes amygdales sont si serrées qu'aucun son ne sort de ma gorge compressée. Bientôt, la main enflamme mes poumons, mon ventre, mon sexe.
Je sens palpiter ses lèvres entre mes cuisses. Cernée par les parois étroites de la machine, j'ai l'impression que je vais crever là comme une chienne, consumée sur le bûcher de l'Inquisition médicale, scrutée par l'œil indifférent de la machine.
- Respirez !
Mon corps démembré n'est plus chair, il n'est qu'organes.
Je respire. Me lève, me rhabille, repasse dans la salle d'attente.
Affamée, assoiffée, je mange et bois enfin.
À côté de moi, une jolie fillette aux yeux bruns regarde avec envie mon paquet de gâteaux. Après avoir demandé la permission à son papa, je lui en donne la moitié. Me réjouis de la voir la dévorer à belles dents, le cœur chaviré à la pensée de l'enfant que je n'aurai peut-être jamais.
Mais voici qu'on m'appelle à nouveau. La femme médecin qui me reçoit a les lèvres pleines et le diagnostic sûr :
- Vous êtes touchée des deux côtés.
Je regarde l'écran qu'elle me désigne, reconnais juste le trajet cambré de ma colonne vertébrale. Le reste s'éparpille en images que je ne comprends pas : un amas de formes indistinctes en dominantes de gris, contrastées du blanc au noir.
Un reste qui ne peut pas être à moi. Que je renie.
Impossible, ce que je vois là n'est pas mon ventre découpé en tranches.
Pas mon ventre, il y a erreur. Une de plus à ajouter à la longue liste des autres. Celles de ce fichu examen repoussé à cause d'une panne stupide, celles de la vie tout court.
Les images se télescopent sous mon crâne alors que le médecin répète doucement, comme pour m'ancrer ses mots dans la tête :
- Vous êtes touchée des deux côtés.
De grosses larmes roulent sur mes joues.
Désarçonnée, compatissante, elle ajoute par dessus ses lunettes :
- Rien n'est joué, vous savez... Mon rôle ne se borne qu'à lire les images et avec les moyens actuels, vous avez de nombreuses possibilités pour avoir un jour un enfant.
Nombreuses, peut-être. N'empêche qu'elles se résument pour l'instant à une opération.
En une heure, voilà mes perspectives de vie chamboulées.
Je croyais avoir encore du temps pour tout, je n'en ai peut-être plus beaucoup.
Et au fond de moi, des questions obsédantes, torturantes que je repousse : et nous ? Et lui ?
Il paraît que tout arrive à point pour qui sait attendre.
Ben non. Parfois, tout arrive trop tôt.
Sam 17 mai 2008
2 commentaires
Tout est relatif...
Tôt pour qui, pour quoi?
Je connais ta réponse, Chut, dans l'absolu, tu le sais; ce n'est pas "trop tôt".
Dans les circonstances sentimentales, c'est trop tôt, oui...
Pour les réponses à tes questions, j'ai envie de dire que tout vient à point pour qui sait attendre...
Bises X 1000
ether - le 18/05/2008 à 19h40
Coupine ! Allez, j'avoue... Je n'avais pas perçu toute la portée de ton commentaire en le lisant la 1re fois. Ce que je peux être lente, parfois ! Pour le reste, je
vais être fidèle à mon pseudo... chut :)
Et autant de bises en retour, ma jolie.
Et autant de bises en retour, ma jolie.
Chut !
J'ai juste envie de te dire que le pire n'est jamais sûr. Et que la vie est la plus forte. Faut lui faire confiance, surtout dans les mauvais moments.
Louis - le 24/05/2008 à 17h04