Le blog de Chut !
24-29 avril 2012.
Des années que je rêvais de Tubbataha. Des années que je me promettais, un jour, d'y tremper mes palmes.
Le temps avait passé et je n'étais toujours pas allée à Tubbataha.
Fidèle à mon nouveau programme de vie, je décidai que ce voyage serait cette année.
Tubbataha est une mecque des plongeurs. Non pour les petites créatures qui peuplent les océans, mais pour les grosses : des requins, énormément. À pointes noire, blanche, argent, baleine, de récif et même marteau.
Des raies aigles et mantas, des dauphins, des tortues, des napoléons, des bancs de carangues, découverts au rythme épuisant de nos immersions : cinq par jour. La première à 6h30, la dernière, de nuit, s'achevant douze heures plus tard.
Une semaine et l'impression de n'être jamais sèche. De passer mes journées à me changer pour plonger, à plonger, à me reposer d'avoir plongé.
Donna, la divemaster en chef, nous avait prévenus :
- Si jamais vos cheveux sont secs, c'est qu'il est temps de vous équiper.
Une semaine d'aventure humaine, aussi.
Treize autres passagers sur le bateau, dix nationalités de l'Europe à l'Asie. Un seul couple, un père et son fils, deux paires d'amis et des célibataires. Des personnalités fortes, douces, drôles, attachantes.
Donna la Philippine, amoureuse d'un Français qu'elle espère rejoindre.
Un Suisse-Allemand globe-trotter. Bel homme ayant tout pour lui, que je revis à Bohol, qui s'attarda comme moi à Puerto Princesa et rencontra Adrien.
Un Polonais décalé à l'humour caustique, aficionado de Frank Zappa et Peter Greenaway.
Un Suisse italien qui me prêta sa lampe quand la mienne mourut à la première plongée de nuit.
Ma compagne de (modeste) cabine, une Coréenne aussi américanisée que réservée. Quand elle sortait de son mutisme, c'était d'une voix forte pour exposer une vision pragmatique des relations amoureuses : les hommes allant et venant, à quoi bon s'embarrasser d'un trop encombrant ? Et pourquoi lutter alors que, dans la mer, il y a tant de poissons ?
Deux Chinois, l'un à la face de lune et l'autre aux dents tachées de nicotine. Distraits et maladroits comme les Pieds Nickelés, souvent les derniers à embarquer sur le speedboat, quand il ne leur manquait pas quelque chose : une palme, un chausson, leurs appareils photo.
Le soir sur le pont, ça parlait dans toutes les langues entre bières et cigarettes, discussions sérieuses et francs éclats de rire.
Tubbataha semble être bout du monde, à mille milles de toute terre habitée. L'est effectivement.
Ses deux îlots, sauvages confettis perdus dans le nulle part, se trouvent à quinze heures de Puerto Princesa. Autant dire qu'il faut rester très prudent. Ne surtout pas jouer à la roulette russe des maladies de la décompression. On a largement le temps d'être paralysé - ou mort - avant d'atteindre le premier caisson.
En une semaine, nous ne croisâmes que trois bateaux, dédiés eux aussi à la plongée.
Dans une poignée de semaines il n'y aura plus de bateau du tout. Tubbataha, destination reculée de l'ouest philippin, n'est accessible que de mars à mi-juin. Avant et après, la mer est trop mauvaise, les vents trop contraires, les courants trop traîtres.
Les seuls à rester sont les rangers qui veillent sur ce sanctuaire.
L'avant-dernier jour, nous leur rendîmes une courte visite.
Notre bateau s'amarra dans le bleu. Nous fûmes huit à monter dans une chaloupe. Destination une langue de sable découverte par la marée basse.
Plantée à proximité, sur pilotis au milieu, une construction blanchâtre.
L'abri des rangers.
La chaloupe s'arrêta à quelque distance. Nous traversâmes le bras de mer sandales à la main, mollets et cuisses battus par les tourbillons. À l'horizon, bande outremer déposée sur un azur translucide, le ciel s'obscurcissait déjà. Des tons plus doux, orange, violine et or, le zébraient de quelques griffures. De rares nuages y flottaient, si blancs, si compacts, à la base si plate qu'ils semblaient sculptés dans de la Chantilly.
Le coucher de soleil s'annonçait somptueux. Il le fut. Lent et majestueux comme un miracle, d'une beauté à tordre l'âme, dans un silence à peine troublé par les hommes.
Parfois l'eau se frangeait de remous. Un poisson volant ou la tête d'une tortue venue respirer à la surface. Entre nos orteils de petits crabes se faufilaient comme pour nous rappeler que, même dérangés, ils demeuraient ici les seuls habitants légitimes.
Dès notre départ ils reprendraient et leur sol et leurs droits.
Des marches de bois rongées par le sel menaient à la bâtisse des rangers.
Nous les empruntâmes à la queue leu-leu. Une fois à l'intérieur, je ne pus retenir un cri.
D'abord une pièce miteuse avec des babioles à acheter, du tee-shirt au porte-clefs en passant par les autocollants.
Puis, sale et fissurée, une salle d'un seul tenant ouverte sur la mer, hérissée de lits superposés. Témoins forcés les uns des autres, les rangers dorment là, sans intimité ni confort. Pour se laver, faire la vaisselle et nettoyer leurs vêtements, ils dépendent de l'eau de pluie.
À notre arrivée, les gros bidons de stockage étaient presque vides. Rationnement forcé et annonce de jours plus difficiles encore, à moins que la météo ne leur soit clémente.
Une cuisine minuscule complète le tout. Ameublement sommaire encombré de produits de première nécessité : riz, huile, sauce. La nourriture principale est encore le poisson tout frais pêché.
Les lieux donnent une impression de superficiel râclé jusqu'à l'os, de dénuement conjuré par la magnificence du paysage. De mer et d'immensité liquide, nu lui aussi mais si plein à la fois.
Un poisson jaillit de l'onde pour y retomber et s'y confondre.
Un oiseau traversa en oblique le feu du soleil.
Plus aveuglants qu'un brasier, ses derniers rayons rougeoyaient.
Debout face à l'horizon, pieds recouverts de sable tiède, jambes et bras offerts à la brise, je sentis le souffle du monde me caresser la nuque.
Son souffle et son chant d'une infinie beauté.
Photos : Iroshi Nonami, Ric Frazier.
Aïe aïe aïe pour l'hydraire ! Ca doit être horriblement douloureux !
Latis, j'en déduis que tu es plongeuse... Je me trompe ?
Tu penses si j'ai frémi de la palme au fil de cette lecture ! Peut-on accéder au site avec son propre bateau ? Auquel cas je n'hésiterai pas à chercher guide ayant connaissance des lieux.
Bonne question... Je ne sais pas mais je peux me renseigner. J'ai un peu peur de la paperasserie, vu que Tubbataha est un sanctuaire, donc une zone (censément) hyper protégée. Ce qui signfie (a priori) autorisations spéciales pour y naviguer - en plus de la taxe dont chacun doit s'acquitter pour entrer.
Faut aussi voir si tu as besoin d'un enregistrement aux Philippines pour ton bateau.
Dis-moi si tu veux que je demande !
Tubbataha... Magnifique effectivement. Ca date un peu, mais c'est un souvenir très vivant! L'unique fois où j'ai vu des tortues libres, d'ailleurs
Souvenir cuisant aussi... Mon bras maladroitement plongé dans une hydraire de feu, et qui s'en est souvenu plusieurs semaines!
L'océan Indien... J'aime!