Le blog de Chut !

Out of stock 2Out of stock, rupture d'approvisionnement, "y en a plus !", finito, nada, nib, zéro, urot in Visayas, se chante en refrain, choeur et canon aux Philippines.

Parfois drôle, souvent irritant, toujours frustrant, c'est une fatalité avec laquelle il faut composer.

Faire avec... et surtout sans.


Au supermarché.

Sur ma liste de courses figure en troisième position : tampons. Je tourne et vire en pure perte entre les rayons. De guerre lasse, j'arrête un vendeur.

- Excuse me... Tampons, please ?

Il me fixe d'une pupille vide. "Tampons", oui, il connaît le mot. Mais non, il n'a aucune idée ce que je cherche.

Un tampon encreur, peut-être ?

Un sceau gravé à mes initiales ?

Des boules d'ouate pour la toilette ? 

Je le détrompe. Je lui explique. À peine ai-je prononcé le mot "règles" que le jeune homme vire au blanc, puis au cramoisi. Au-dessus du col amidonné de son uniforme, son visage semble repeint à la confiture de fraises.


Toujours cette fichue pudeur philippine pour tout ce qui touche au corps et pire, à son intimité. Et pire encore, lorsqu'une femme parle à un homme "d'affaires de femmes".

Mon vis-à-vis jette des regards paniqués à la ronde. À croire que je lui ai proposé une sodomie au rayon crudités. Le bégaiement aux lèvres, il guette une porte de sortie entre les présentoirs. Se jetterait bien à plat ventre sur le carrelage pour ramper, façon parcours du combattant, sous les caddies.

De toute évidence, il prie pour qu'un collègue vienne le tirer d'embarras. Une femme si possible parce que les tampons, ça doit être son rayon. Même si elle n'en utilise pas vu qu'ici, s'introduire un corps étranger dans le vagin tient de la répulsion.

Hélas pour mon vendeur, le deus ex machina tant espéré ne se produit pas. Et hélas encore, pétrifié de politesse ou de gêne, il n'a pas les ressources pour m'échapper.

- Then ? ai-je le mauvais goût d'insister.

Cette fois, c'en est trop. Le pauvre garçon s'enfuit en crachant sa réponse sur un seul souffle :

- OUT... OF... STOCK, Mâ-âm !!

 

 

Out of stock 331 décembre 2011.

La nuit pâlit derrière les palmiersTrop tôt ou trop tard ? Une simple question de point de vue.

Exténuée, saoule de trop de mots, de musique, de vin, de champagne et de rhum, front contre les étoiles et pieds couverts de sable, je remonte lentement la route de la plage.

Vite, un habal-habal et je suis chez moi. Enfin.


Par chance, quelques-uns patientent à la station du carrefour. Certains assis sur un court banc de bois, la plupart allongés sur le siège de leur bécane, orteils en éventail sur le guidon.

Je les réveille d'un tonitruant :

- Bonne année !!

Leur réponse ne tarde guère :

- Where are you going, Mââm ?

Je lance ma direction comme une bouteille à la mer. Les chauffeurs se concertent pour me désigner l'un d'eux. Encore à moitié endormi, celui-ci s'avance dans une pétarade.

- Had a good time, Mââm ?

Je confirme en me massant les tempes. Monte sur le siège, m'agrippe au porte-bagages, ignore l'habituel "enlacez le conducteur !" et donne le top départ.


La moto rugit, s'élance. Et, deux cent mètres plus loin... s'arrête.

Rapide inspection de la chaîne. Non, ma robe n'est pas coincée dedans. Je l'aurais d'ailleurs senti.

Vérification du tableau de bord. Impossible d'y lire quoi que ce soit, le contact est coupé et toutes les aiguilles sont cassées.

Tour de clef pour redémarrer.

Le moteur a un hoquet, le métal un soubresaut avant de mourir entre nos cuisses.

Le Philippin tape le guidon à la façon d'un lumineux "j'ai compris !". Pouffe, se retourne et me lance, un coin de la bouche relevé en un sourire, l'autre abaissé en une virgule de déception :

- Sorry, Mââm... Gazoline out of stock !

Plantée tel un fanal dans ma robe blanche, je me retrouve seule sur la route.

 

 

Out of stock23 janvier 2012.

Le voyage pour rejoindre mon samouraï commence ici, juste devant chez moi.

Le tricycle qui devait me conduire à l'aéroport m'a oubliée. À moins qu'il n'ait trouvé, en chemin, un autre client.

Par chance, il ne pleut pas. De fait, un véhicule finira bien par passer et m'emmener. Une puti (une blanche) lestée d'un gros sac en bord de bitume, le message semble assez clair. Comme si j'avais placardé "auto-stoppeuse en besoin urgent" sur mon front.

Ca, c'est la théorie.

Parce qu'en pratique, que pouic.

Les minutes défilent. Aggravée par ma trop courte nuit, une nervosité sèche me gagne. J'ai beau avoir calculé large pour le trajet, mon temps de sécurité se raccourcit dangereusement. Et je ne veux pas, pour rien au monde, rater ce vol pour Manille.


Une moto pile à ma hauteur.

- Need a ride, Mââm ?

J'acquiesce soulagée. Mais au nom de la grande ville, le conducteur se rembrunit. Il me dépannerait volontiers, mais voilà : il n'a pas son permis sur lui. Ou pas de permis tout court. Et vu les barrages de police aléatoires, il refuse de courir le risque d'être contrôlé.

Moi aussi, en fait.

J'attends encore. Cinq minutes. Dix.

Enfin, une autre moto ralentit. Cette fois, le chauffeur est en règle et moi en retard. J'explique que mon avion décolle bientôt. Il accélère.

Je me croyais tirée d'affaire.

J'avais tort.


À mi-trajet, nous jouons retour vers le futur.

La moto halète comme un vieux cheval, tousse comme une tuberculeuse, rend son âme mécanique dans un pathétique "pof pof".

Je grince à bout de nerfs : 

- Gazoline out of stock ?

- Oh, yes, Mââm. Out of stock, gazoline !

Pincez-moi je rêve... Mais non.

Terminus, tout le monde descend.

Je m'empare de mon sac, le Philippin de sa moto. Il pousse, je porte. Cahin-caha sur deux kilomètres, jusqu'au prochain sari-sari devant remplir deux conditions : être ouvert et vendre de l'essence. Pas à la pompe, bien sûr, cet équipement coûte trop cher.

Et je vous mets quoi pour la route, ma p'tite dame ?

Deux bouteilles de soda remplies de pétrole, s'il vous plaît.

J'ai eu mon avion de justesse. En stoppant devant l'aéroport, le chauffeur m'a dit d'un air malicieux :

- If plane out of stock, Mââm, I drive you back !

(S'il n'y a plus d'avion, Madame, je vous reconduis !)

 

 

Out of stock 5Une après-midi de 2011.

Je marche en listant ce que j'ai oublié chez moi, à une demi-journée de voyage.

Mon téléphone, le câble de mon IPod, un tee-shirt pour dormir, du lait pour le corps. Seul ce dernier est facilement remplaçable. D'autant que là, au coin, se tient un petit supermarché.

Je pousse la porte. Ici, pas de produits destinés aux étrangers. C'est philippin pur jus, ce qui ne me pose aucun problème.

A priori, car j'ai omis un détail : l'obsession du blanc.


En Asie comme en Afrique, être blanche, c'est être belle.

Presque tous les savons, gels douche, crèmes et cosmétiques ont une action blanchissante. Et si un fond de teint ou une poudre n'en a pas, ils sont pâles, d'une couleur jurant avec les carnations foncées. Rendant même ridicules les femmes qui en abusent, involontaires actrices de Nô* au masque blanchâtre, parfois croûteux, apposé sur leurs faces.


Les tropiques m'ont légué la peau caramel. Pas question de me tartiner de lait éclaircissant, de me réveiller zébrée ou de risquer l'allergie*. Mais sans surprise, une fouille approfondie du rayon "soins du corps" me laisse bredouille.

Je demande tout de même à une vendeuse. Qui, ne me comprenant pas, tente de se débarrasser de moi d'un laconique :

- Out of stock, Mââm.

J'insiste. J'explique encore. Pas de blanchissant. Bronzée je suis et veux le rester.

La jeune femme plisse un front buté, comme incrédule. J'ai l'impression d'entrer dans son cerveau pour l'entendre penser :

"N'importe quoi, ces étrangères ! Elles ont qui la chance d'être nées blanches, elles veulent donc devenir ou rester... noires ? S'enlaidir ?"

Elle a compris sans comprendre, ni changer sa réponse d'une syllabe :

- Out of stock, Mââm.

"Non, pas out of stock ! ai-je eu envie de protester. Out of stock, ça ne marche que pour les produits référencés un jour en rayon !"

Or, du lait non blanchissant, ce supermarché n'en a jamais eu.

 

 

Out of stock 6D'autres jours...

Un ami de Bertille a besoin de 40 m2 de carrelage pour le salon de sa nouvelle maison. Le magasin lui en a livré 32, les huit derniers sont...

... out of stock.

Mais qu'il se rassure : il pourra compléter avec d'autres carreaux. Si la chance lui sourit, il trouvera - presque - le même motif.

 

La mercerie propose des rubans dans des teintes classiques et plus improbables. Violet d'automne, jaune poussin malade, rose fuchsia églantine, blanc devant marron derrière...

Les noirs, quant à eux, sont...

... out of stock.

 

Le cordon de mon disque dur ?

Out of stock.

L'ordinateur portable figurant pourtant au catalogue du magasin ?

Out of stock.

Le Lonely Planet des Philippines aux Philippines ?

Out of stock.

 

Avec Bertille, on compare. On s'en plaint. On en rit. D'autant plus depuis qu'elle m'a dit :

- Et factory defect*, tu ne la connais pas, celle-là ?

Euh... Pas encore. Mais je l'attends de pied ferme.

Une femme prévenue en vaut deux, pas vrai ?

 

 

 

* Nô : style traditionnel de théâtre japonais.

* Étant bourrés de composants chimiques, les produits blanchissants abîment la peau et peuvent provoquer des intolérances et/ou réactions allergiques.

* Défaut d'usine.  

 

2e photo : Walker Evans ;

4e : Horst P. Horst ; 5e : Issei Suda.

Mar 27 mar 2012 6 commentaires

Je n'aurai qu'un mot : mooncup ! Jamais out of stock...

R. - le 28/03/2012 à 16h55

J'en ai une !! Mais je ne la porte plus que très rarement : elle me gêne et a tendance à fuir. Sûrement parce que je ne la mets pas correctement, mais en dépit de tous mes efforts, impossible de bien la placer. J'ai fini par abandonner. Vraiment trop inconfortable et pas fiable du tout point de vue étanchéité.

Cette solution serait pourtant idéale, surtout en voyage : tampons + serviettes, ça prend de la place, et il est impossible de trouver des tampons dans beaucoup d'endroits. Out of stock, ah ah !

Chut !

Arrrgh, damned ! Vous avez tout essayé ??? Placement bien autour du col, tour de contrôle avec le doigt, contraction juste après la pose, tout ça...? Mince alors. Cependant, je vous l'avoue, il m'arrive aussi parfois d'avoir des mini-mini-fuites, et je continue de préférer ça au reste. Par contre, je ne la sens pas du tout, j'ai même parfois peur de l'oublier ! :)

R. - le 28/03/2012 à 17h25

Ah non, pas la contraction juste après la pose... Possible que la raison soit là, mais j'en doute. En fait, c'est idiot à dire mais je crois avoir hum... les doigts trop courts (ou le vagin trop long, ça se discute :) ). À chaque fois, la coupe m'échappe alors qu'elle n'est pas assez enfoncée. Se trouvant déjà sur le bas du "réservoir", mes doigts ne peuvent plus la maintenir repliée. Ce qui fait qu'en station debout - et rapidement -, elle descend (je la sens entre mes lèvres) et, joie des joies, me pince à l'intérieur.

Mingus, lui, arrivait à me la placer correctement... après mon accord pour le laisser faire, ce qui m'a pris un peu de temps. Pas habituée, pour le coup, à ce qu'un homme se mêle si intimement à "mes petites affaires de femme". Là, en effet, je l'oubliais presque !

Chut !

Out of stock! Faut être zen et adapter le rythme de la vie locale... n'empêche que parfois, des relents d'occidentaux doivent remonter à la surface!

Grand-Langue

Accent Grave - le 28/03/2012 à 17h59

Oh, pas que les relents ! Oui, mieux vaut se montrer patient car s'énerver, loin d'arranger le pb, tend à le corser. Sans compter que montrer ses émotions de façon trop euh, émotionnelle revient à perdre a face en Asie - à éviter à tout prix, tant pour vous que pour votre interlocuteur qui sinon, vous en voudra terriblement...

Les gens stressés, exigeants, en attente de prestations similaires à l'Europe-Amérique du Nord ne pourraient pas vivre ici (ni dans nombre d'autres pays du globe, d'ailleurs !). Ils deviendraient fous.

Chut !

C'est bien la 1° fois que je lis ce mot-là! Jamais entendu parler! Mais je me suis renseignée:

"The Mooncup is a reusable menstrual cup around two inches long and made from soft silicone rubber. It is worn internally like a tampon but collects menstrual fluid rather than absorbing. Unlike tampons the Mooncup is not a disposable product, so you only need to buy one.
The Mooncup will hold 30ml of fluid, which is roughly one third of the average total produced each period. A light seal is formed with your vaginal walls allowing your menstrual fluid to pass into the Mooncup without leakage or odour. You will probably find that you need to empty your Mooncup less frequently than you currently replace towels or tampons." (urban dictionary)

Ordalie - le 29/03/2012 à 06h17

Oui, la mooncup, c'est une avancée technologique ! :) Son usage se répand, mais nombre de femmes ne savent pas encore qu'elle existe.

Chut !

On entre dans un débat technique là... J'ignorais également l'existence de la "mooncup", jolie métaphore du reste, la "coupe de la lune"... Trop tard! Je n'en ai plus besoin! Hum hum... Mais j'en parlerai à ma fille qui est une vagabonde... Sourire.

Marieh2o - le 29/03/2012 à 23h59

Oui, la coupe peut être vraiment utile pour voyager. Faudra que la mienne rentre en service avant la Mongolie, d'ailleurs, si jamais la rando tombe à la mauvaise période. Rapport aux mini-sacs qu'on va prendre pour la steppe... La coupe étant petite, je libère de la place pour un T-shirt supplémentaire !

Si ta fille est intéressée, on peut en commander via le net ou en trouver en magasin bio proposant aussi des crèmes sans paraben, etc. Assez facile à dénicher dans une grande ville comme Paris, l'usage de ces coupes est de moins en moins confidientel.

Chut !

Mooncup, rien que pour le nom je vais l'ajouter à ma prochaine liste de course. C'est tout de même autre chose que cette vulgaire boîte de machins qu'on jette négligemment au fond du caddy. (Et puis s'il n'y en a pas, ça fera un joli sujet avec ma copine la caissière, elle dont le regard dément souvent l'innocence de son sourire quand elle me demande "je ne te vois jamais avec ta femme, t'es sûr que tu es marié ?"). (Ici, on ne perd la face que si on manque d'humour ...).

Slevtar - le 30/03/2012 à 18h02

Je parie alors que vous aurez un sujet de conversation supplémentaire et une occasion de faire assaut de saillies... humoristiques (ah ah). Peu de chances que le supermarché en ait !

Tu peux avancer le fameux "out of stock, Mââm ?", mais je doute que cet humour-là supporte l'exportation. Sinon, feindre l'amnésie (ma quoi ? femme ?). :)

Chut !